
La municipalité veut fermer trois espaces dédiés à la jeunesse. Une annonce soudaine qui suscite une vague d’indignation dans la deuxième plus grosse ville d’Île-de-France, tant chez les jeunes que chez les agents.
Depuis la nuit du samedi 12 avril, la municipalité a fermé la structure de manière conservatoire. En cause, un incendie criminel dans le centre socioculturel coopératif, dit « le 110 », à quelques pas d’ici, la nuit précédente. Dans sa communication officielle, la mairie détaille : « Les premiers éléments recueillis par la police judiciaire et scientifique ne laissent aucun doute quant à l’origine criminelle de l’incendie [...] Il ne fait aucun doute que cet incendie n’est pas un hasard, dans ce lieu, après l’annonce du futur déménagement de l’espace jeunesse municipal Péri situé à 250 mètres. » (...)
L’annonce en question – que la municipalité pense donc liée à l’incendie – est tombée le 7 avril. Les usagers et usagères ont appris, par un communiqué de la ville, la fermeture des espaces Péri, Confluence et De-Geyter. Les locaux seront amenés « à couvrir d’autres besoins associatifs ou de commerce de proximité ». Tout un symbole, pour la deuxième plus grosse ville d’Île-de-France après Paris, dans un des départements les plus jeunes de la France métropolitaine.
Interrogée par Mediapart, la mairie réfute le terme de fermeture et parle plutôt d’« évolution des locaux » et de « relocalisation ». (...)
Une décision non concertée, qui laisse craindre des effets délétères avec la destruction du maillage territorial de ces espaces jeunesse de proximité, au nombre de treize, dans tous les quartiers de la ville. D’autant plus qu’un espace jeunesse du centre-ville et trois ludothèques ont déjà baissé le rideau depuis le début de la mandature socialiste.
Du côté du centre socioculturel coopératif du 110, l’incompréhension règne. Dans une lettre ouverte au maire, publiée le 10 avril (la veille de l’incendie, donc), le président de la structure exprime son « étonnement suite à cette annonce municipale prise sans concertation préalable avec [sa] structure ». Pour lui, la teneur du communiqué laisse supposer « une démarche “descendante” qui a de quoi inquiéter », et qui, si elle devait se confirmer, « ne permettrait pas d’atteindre “l’ambition” annoncée et mettrait à mal les conditions de travail et les missions des un·es et des autres ».
Les adolescents montent au créneau
Les jeunes usagères et usagers des espaces jeunesse ont quant à eux décidé de se mobiliser pour tenter de sauver leurs lieux de sociabilité et ont créé des comptes sur les réseaux sociaux pour donner de la visibilité à leur lutte.
Équipés de micros achetés pour l’occasion, ils sont même allés interpeller le maire, Mathieu Hanotin, lors de la traditionnelle Fête des tulipes de Saint-Denis, qui s’est tenue ce même week-end du 12 avril au parc de la Légion-d’Honneur. Visiblement mal à l’aise, ce dernier a prématurément quitté les lieux après quelques échanges tendus. Sur des vidéos postées sur les réseaux sociaux, on peut voir les jeunes accompagner l’édile vers la sortie et tenter une dernière fois de le convaincre. (...)
Au quartier Gabriel-Péri, le mardi suivant, en début d’après-midi, les jeunes Dionysiens débriefent les événements des derniers jours. « Ils sous-entendent que ce sont les jeunes qui sont responsables de l’incendie, mais les jeunes n’ont rien à voir avec ça. Pourquoi nous priver de notre antenne jeunesse alors qu’il y a une enquête qui est en cours ? », s’agace Nadia Talbi. Cette jeune de 18 ans fréquente l’espace Péri depuis son enfance, « tous les jours après l’école ». « J’y reçois de l’aide pour mes devoirs et je profite des sorties pendant les week-ends et les vacances », précise-t-elle.
« Jamais ils [les élus – ndlr] ne viennent nous parler, on ne les voit jamais dans nos espaces jeunesse. Mais quand c’est le moment de faire des règles pour nous, de nous déplacer, de nous virer, là, ils sont présents ! », renchérit Aya Guetib, de deux ans sa cadette.
Pour elles, les arguments de la municipalité ne tiennent pas, et la reconfiguration des structures se fera à leur détriment. (...)
« Un espace jeunesse, c’est un poumon dans un quartier, même pour les habitants : on a des personnes âgées isolées qui passent, des jeunes adultes qui veulent imprimer un CV… On fait tampon sur pas mal de choses, on anticipe, on essaie de réduire les risques de rixes. »
Le soupçon du politique
Pour justifier la fermeture à titre conservatoire de l’espace Péri, la mairie avance la proximité directe d’un point de deal. Mais là encore, l’argument ne convainc pas. « Il faut savoir que le 110 est même plus exposé : il y a un terrain de drogue d’un côté et des vendeurs à la sauvette de l’autre, il y a régulièrement des bagarres. Il n’y avait pas de point de deal à proximité des deux autres structures qui vont fermer et on va leur demander de venir ici », décrit Katya Talbi, exaspérée.
Pourtant, la municipalité a répété et martelé la promesse de ne pas fermer de nouveaux espaces jeunesse à la suite de la fermeture de celui du centre-ville. Y compris à l’occasion d’une réunion avec les syndicats, en février. Pourquoi un tel revirement ? (...)
Pour l’heure, sont prévus la suppression de trois postes de coordinateurs des espaces jeunesse, le déclassement d’un poste de catégorie A vers la catégorie B, qui coûterait donc moins cher à la collectivité. Deux nouveaux postes de responsables doivent être créés pour remplacer les trois coordinateurs, des postes auxquels ces derniers n’auront pas accès.
Les jeunes mobilisé·es ne veulent pas s’arrêter là. Ils et elles appellent à un autre rassemblement jeudi 24 avril devant l’hôtel de ville de Saint-Denis.