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Frontex, agent intouchable du renseignement migratoire
#UE #Frontex #migrants #immigration
Article mis en ligne le 30 octobre 2025
dernière modification le 27 octobre 2025

Nonobstant des enquêtes institutionnelles et journalistiques ayant démontré que ses officiers s’étaient rendus coupables de graves violations de droits, tout semble organisé pour que la responsabilité de l’agence Frontex ne soit ni engagée ni reconnue. En sus de ses traditionnelles activités de surveillance et de contrôle des frontières prévues dans le règlement (UE) 2019/1896, l’agence tentaculaire dotée de moyens exponentiels est devenue tout à la fois agent du renseignement, négociateur, influenceur et membre d’un réseau de dissuasion violente, que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter.

Produire de l’information, qu’importe sa véracité

Comme pour tout bon agent du renseignement, recueillir et exploiter des informations relevant de la vie privée est un axe essentiel du travail de Frontex. Elle collecte ces données par le biais des États membres, d’agences européennes et d’organisations partenaires, mais aussi dans le cadre de ses propres opérations (maritimes, aériennes, terrestres). Elle est présente aux frontières maritimes (Méditerranée centrale et Manche), ainsi qu’aux frontières terrestres et aériennes de plusieurs pays (Albanie, Géorgie, Monténégro, Serbie, Macédoine du Nord, Moldavie, Ukraine). Elle a progressivement élargi ses activités vers la zone pré-frontière de l’UE et ouvert des bureaux satellites temporaires dans des pays tiers du voisinage méridional et en Afrique de l’Ouest (...)

Le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) estime que, malgré les moyens déployés, les « analyses de risques » produites par l’agence sont fondées sur des informations peu fiables, obtenues lors d’entretiens menés sans le consentement des migrant·es ni protection de leur identité [3]. Il a également émis des réserves quant à la sécurisation des données et l’ampleur de la collecte.

L’opacité des activités de Frontex inquiète aussi le Médiateur européen, qui a traité plusieurs plaintes concernant l’impossibilité d’accéder à des documents et informations. Il faut préciser que l’agence est très réticente à fournir les informations demandées, y compris à ses propres contrôleurs, chargés depuis 2019 d’évaluer en permanence le respect des droits fondamentaux dans ses activités opérationnelles (...)

Travailler en synergie, y compris hors du champ migratoire

L’agence, au cœur d’un vaste réseau d’échanges de données, coopère avec de nombreux services, civils ou militaires, ayant des objets aussi variés que la pêche, la lutte contre le narcotrafic ou la sécurité aérienne [7]. Frontex a créé, en 2018, la Maritime Intelligence Community – Risk Analysis Network (MIC-RAN), soit une communauté du renseignement maritime et un réseau d’analyse des risques, pour collecter des données et diffuser des rapports sur les menaces maritimes (i.e. l’appropriation illégale des zones maritimes, les conséquences du réchauffement climatique, les « usages illégaux » de la mer). Autre illustration de la diversité de ses collaborations : l’agence négocie des accords avec des sociétés d’affrètement comme EASP Air, DEA Aviation ou Airbus [8] qui fournissent des aéronefs, le personnel pour les exploiter et l’infrastructure technique pour la transmission des données enregistrées, en temps réel, au siège à Varsovie [9]. Elle capte également des données depuis l’espace, car elle a conclu un contrat avec Unseenlabs, une entreprise française spécialisée dans la surveillance maritime par radiofréquence depuis l’espace, ou se sert des satellites du programme Copernicus d’observation de la Terre qui sont utilisés pour la sécurité, la protection civile, la gestion de l’environnement et la recherche sur le changement climatique [10].

Engagée dans des projets de recherche et développement, l’agence finance ceux qui se focalisent sur le matériel de surveillance (...)

Au-delà des frontières de l’Europe, Frontex multiplie des campagnes qui sont de véritables opérations de séduction, afin de s’assurer du concours des États tiers pour empêcher les départs depuis les pays d’origine. Ainsi est-elle à l’initiative du projet Africa – Frontex Intelligence Community (Afic) dans huit pays africains (Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal et Togo), officiellement lancé pour « collecter et analyser des données sur la criminalité transfrontalière et soutenir les autorités impliquées dans la gestion des frontières ». Frontex a également organisé des séances opérationnelles de sensibilisation à la lutte contre la fraude documentaire et la fraude à l’identité en Albanie, Bosnie-Herzégovine, Égypte, Géorgie, Moldavie, Macédoine du Nord, Serbie et en Tunisie.

Comme pour conforter sa place centrale dans le réseau d’information qui surveille tout et constamment, c’est avec les services de répression, tels l’Office européen de police (Europol) et l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol), que l’agence a intensifié ses relations. (...)

De son côté, Interpol travaille avec l’UE et Frontex dans le domaine de la sécurisation des frontières, sous forme de collaborations techniques, de formations et de projets de recherche communs. (...)

Une agence opaque et délétère qui influence les législations

Plusieurs enquêtes documentées décrivent les actes illicites commis par l’agence sur ses terrains d’intervention. Il n’est plus à démontrer qu’elle s’est rendue complice ou coupable, à de nombreuses reprises, de refoulements (pushbacks) en Grèce, pourtant interdits par le droit international. Des refoulements qui sont recensés dans sa base de données Jora comme de simples opérations de « prévention de départs [16] ». Des pratiques similaires ont été dénoncées à la frontière bulgare, où des violences ont été commises par des garde-frontières participant aux opérations de Frontex [17]. À Chypre, de nombreux ressortissant·es syrien·nes ont été illégalement enfermé·es et d’autres ont été expulsé·es vers la Syrie, sous les yeux d’officiers de Frontex [18]. Des pratiques épinglées par l’Office européen de lutte antifraude (Olaf), qui a émis des doutes sur « la capacité de l’agence FRONTEX à […] veiller au respect et à la protection des droits fondamentaux dans toutes ses activités aux frontières extérieures ».

L’agence va jusqu’à fabriquer de fausses informations lorsqu’elle prétend sauver des vies en mer, alors qu’elle transmet la position des embarcations en détresse aux garde-côtes libyens, dont les comportements violents envers les personnes migrantes sont notoires.

Il lui arrive aussi d’interrompre la prise de vue aérienne au-dessus de la mer Méditerranée pour ne pas avoir à référer d’abandon de personnes en mer (...)

Malgré ces multiples mises en cause, Frontex exerce une influence croissante sur les instances politiques et les législations européennes. Ses « analyses de risques » sont l’unique source d’information de la Commission européenne, et l’image construite d’une perpétuelle « crise aux frontières » qu’elles donnent à voir sert à justifier l’augmentation des contrôles et des mesures sécuritaires. Depuis des années, l’agence véhicule une image négative de la migration en la présentant comme une menace dont il faudrait se protéger.

Cette image trouve sa traduction dans les réformes législatives. (...)

Une agence peu fiable, mais intouchable

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 74 352 personnes ont trouvé la mort depuis 2014 en tentant de franchir les frontières [23]. En dehors du champ de la migration, l’acteur, personne physique ou morale, qui serait impliqué dans une telle hécatombe serait poursuivi et jugé, voire condamné. Malgré les preuves tangibles de la responsabilité de Frontex, comme de l’UE et de ses États membres, dans ces drames, aucun d’entre eux n’a jamais été inquiété. Bien au contraire, la Commission européenne confirme son agenda politique basé sur la mise à l’écart des personnes exilées en donnant à l’agence un rôle de premier plan dans les politiques migratoires européennes et en proposant de tripler ses effectifs. Les États s’appuient toujours plus sur Frontex (...)

La meilleure défense étant l’attaque, la criminalisation des solidarités et la décrédibilisation de celles et ceux qui dénoncent ses actions – à l’image de la campagne Abolish Frontex accusée de « discours haineux » – sont érigées en stratégie de dissuasion. De même, celles et ceux qui pallient l’action défaillante des États, comme les ONG de sauvetage en mer, sont assimilées à des réseaux de passeurs. Une rhétorique qui ressemble à s’y méprendre à celle des partis populistes.