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GPA : « Il faut cesser de passer la femme par pertes et profits »
#GPA #traitedesetreshumains #UE
Article mis en ligne le 4 mai 2024
dernière modification le 3 mai 2024

Le 23 avril 2024, les députés européens ont adopté une loi élargissant le champ d’application des mesures actuelles pour combattre et prévenir la traite des êtres humains et mieux soutenir ses victimes, par 563 voix pour, 7 contre et 17 abstentions. La maternité de substitution, ou GPA, entre désormais dans le champ de la traite des êtres humains. Mais depuis quelques jours, la polémique fait rage. Le nouveau texte réprime-t-il uniquement la GPA contrainte organisée par une association criminelle, ou toute forme de GPA ? Nous avons demandé au professeur Marie-Anne Frison-Roche, auteur d’un ouvrage intitulé « GPA : dire Oui ou dire Non »* publié chez Dalloz en 2018, de nous éclairer sur les enjeux attachés à cette question et sur la position de l’Europe.

Actu-Juridique : La GPA est une pratique ancienne même si elle est longtemps restée marginale, qu’est-ce qui a changé et nécessite aujourd’hui l’attention des pouvoirs publics et du législateur ?

Marie-Anne Frison-Roche : La GPA est une « pratique », c’est la meilleure des expressions. Elle consiste pour une ou plusieurs personnes qui ont un « désir d’enfant » à se tourner vers celles qui ont l’aptitude de faire venir au monde un enfant, c’est-à-dire une femme, d’en porter un et à l’instant même de sa naissance de leur donner, puisque cette femme a consenti à cela. Françoise Héritier a raison de dire que cette aptitude naturelle à porter l’enfant, à interrompre la grossesse si elle le veut, à le mettre au monde si elle le veut, est le pouvoir des femmes qui fût toujours l’objet de fascination et d’envie : ce pouvoir d’enfanter, de donner la vie, de nouer ce lien entre soi et l’enfant, objet de toutes les convoitises, a une immense valeur.

La pratique de la « maternité de substitution » consiste à trouver une femme fertile dont on va capter cette aptitude en introduisant dans son corps soit uniquement les gamètes d’un homme, le corps de cette femme fournissant l’ovocyte, soit également l’ovocyte d’une autre femme, pour se faire remettre l’enfant à la naissance. Le lien de filiation sera établi à l’égard de celui qui a donné le gamète, par son sperme. S’il a une conjointe ou un conjoint, le lien de filiation sera établi à l’égard de celui-ci par l’adoption. La naissance ayant été déclarée sous X, la femme n’aura été que la « porteuse ». Les bénéficiaires de la pratique sont extérieurs à celle-ci : c’est littéralement la « gestation pour autrui » (GPA).

Comment cette pratique peut-elle aujourd’hui être exercée à une si grande échelle ? Cela s’explique en regardant les désirs à l’œuvre et leur mode de rencontre. (...)

MAFR : Mais ce désir d’enfant ne rencontre pas de désir d’avoir des grossesses sans conserver l’enfant. En pratique, car tout cela effectivement est affaire de pratiques, la rencontre de tous ces désirs d’enfant avec des femmes aptes à porter l’enfant désiré se fait très difficilement.
(...)

Cette absence de rencontre entre la demande, nombreuse et grandissante, et l’offre, restreinte, a fait naturellement naître un business. (...)

Actu-Juridique : L’Europe avait-elle déjà pris position sur la GPA et si oui, par quels textes et dans quel sens ?

MAFR : Comme souvent lorsqu’il y a de nouvelles pratiques, c’est la jurisprudence qui a bougé. (...)

La Cour de cassation a donc rendu 3 arrêts en 2015 pour reproduire l’angle privilégié par la CEDH qui part du droit de l’enfant à vivre sa vie usuelle avec ses parents d’intention, ce qui requiert que l’établissement de sa filiation ne lui soit pas dénié, même si la pratique qui l’a fait naître est condamnée pénalement. (...)

Ceux qui soutiennent cette pratique ont demandé le changement de la loi française. Le président de la République français a affirmé son hostilité à la GPA comme contraire aux droits des femmes, en 2017, ce qu’il a réitéré en 2021.

Le législateur européen a été saisi pour dire s’il est favorable ou pas à cette pratique. (...)

Actu-Juridique : Dans ce contexte, quelle nouveauté apporte le texte adopté par le Parlement européen le 23 avril dernier ?

MAFR : Le sens et l’ampleur de la nouveauté dépendent du sens que l’on peut avoir l’ingéniosité de donner au texte. La directive vise la GPA parmi les comportements d’exploitation des êtres humains. Cette directive a été discutée pendant des années. Lorsqu’on évoquait ce texte sous la forme antérieure de résolution, l’on concluait toujours que son adoption signifierait l’interdiction sur le territoire de l’Union de la GPA. Comme l’adoption n’arrivait jamais, l’on n’y prêtait pas grande attention, puisque la CEDH avait laissé la pratique organisée au-delà porter ses fruits sur des filiations efficacement déclarées dans des pays où elle est interdite. (...)

Ainsi, une lecture de la directive votée le 23 avril est apparue, disant : si la GPA est sanctionnée en tant qu’elle est une exploitation de l’être humain, alors si elle n’est pas une exploitation de l’être humain parce que la femme aura fait cela sans être exploitée, parce qu’elle le veut, parce qu’elle y consent librement, parce qu’elle veut faire le bien d’autrui, alors non seulement la directive ne vise pas cette GPA, dite « altruiste », mais plus encore la directive valide la GPA altruiste. (...)

Actu-Juridique : Dans l’ouvrage que vous avez consacré à la GPA en 2018 chez Lefebvre-Dalloz préfacé par Éliette Abécassis, vous montrez qu’on peut dire Oui ou Non à la GPA, mais qu’il faut répondre et surtout vous mettez en lumière les implications de ces choix. Pourquoi faut-il forcément répondre à cette question ? (...)

C’est un choix de société à faire.

Si nous ne répondons pas clairement, par exemple en entrant dans cette bataille d’exégèses, si étonnante celle-ci paraît-elle et qui serait peut-être portée devant des juges, par exemple en ne poursuivant pas les agences, alors la pratique se développera. Par la force des désirs et l’intérêt des agences. (...)

Si la GPA devient licite, c’est « l’intention » de ceux qui ont un projet qui fait l’enfant et qui fait la filiation, que l’officier d’état-civil recopie. La femme a disparu, ce qui est logique puisqu’elle n’a jamais été dans le « projet ». L’État aussi a disparu, puisqu’il recopie ce que le contrat stipule.

La GPA devient uniquement une affaire de « vie privée » et l’État n’aurait pas à s’en mêler, dès l’instant que les divers prestataires sont satisfaits dans leurs relations contractuelles, ce qui est présumé, et que l’enfant sera heureux, ce qui est présumé aussi.

La filiation, qui était une institution politique qui ancre l’individu dans la société au-delà de sa famille, disparaît en tant que telle pour une conception purement contractuelle. (...)

si l’on choisit de dire Oui, et pourquoi pas, c’est le marché qui répondra et ajustera la demande, déjà là, et l’offre, qui ne viendra que par intérêt financier.

Actu-Juridique : Et si l’on dit Non à la GPA, on le fait sur quel fondement et pourquoi ? (...)

dire Non, c’est-à-dire donner une véritable portée à l’indisponibilité du corps humain et à la dignité de la personne, ici la femme et l’enfant, c’est en premier lieu poursuivre au pénal les agences, qui sont au cœur des pratiques et rédigent notamment tous les contrats (...)

Pour vraiment dire Non, il faut en deuxième lieu que la jurisprudence ne scinde pas la vie de l’enfant entre sa vie quotidienne après sa naissance et sa vie antérieure pendant le temps qu’il partage avec la mère qui le porte. En posant la continuité de la vie de l’enfant avant et après l’accouchement, cela implique qu’il soit contraire à son intérêt que sa mère ne lui soit juridiquement qu’un ventre. Cela impose qu’elle soit qualifiée pour ce qu’elle est, sa mère. (...)

Pour vraiment dire Non, il faut en troisième lieu cesser de passer la femme par pertes et profits la femme. En reconnaissant que son consentement est une fable et qu’en matière pénale le consentement ne joue pas.

La directive votée le 23 avril 2024 par sa lecture littérale l’implique et l’on peut penser que la jurisprudence, notamment la jurisprudence française de la Cour de cassation qui se référait à l’ordre public international et à l’indisponibilité des personnes, aurait une nouvelle assise pour reprendre vie car le raisonnement prétorien de la CEDH, qui n’était centré que sur l’intérêt de l’enfant dans sa vie quotidienne, est remis en cause par une loi européenne qui se soucie avant tout de la femme.

En conclusion, le législateur a pour fonction de choisir le futur du groupe social. Il peut transformer notre société en ne la pavant plus que de contrats où chacun consent et réalise ses projets sans que l’État ne soit légitime à s’en mêler. Les plus puissants en seront les bénéficiaires et demanderont toujours davantage, les autres leur proposeront ce qu’ils ont à offrir, leur corps et leur aptitude à engendrer des enfants. Le législateur peut préserver et garder les valeurs de notre société, garanties par l’État qui exclut que l’on puisse obtenir la réalisation d’un enfant qui vous est livré, sa mère étant effacée par une clause, parce que le Droit a pour fonction de protéger les êtres humains.