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France24
Guerre Israël-Iran : Paris, Berlin et Londres en pleine ambiguïté diplomatique
#Israel #Iran
Article mis en ligne le 18 juin 2025

Dès les premières heures des frappes israéliennes sur l’Iran, Paris, Berlin et Londres ont réagi en mettant notamment en avant le “droit” d’Israël “à se défendre”. Une position apparemment contradictoire avec leur engagement de longue date à trouver une solution par la négociation dans le dossier du nucléaire iranien. Le trio n’abandonne pas cette idée, mais son “autonomie stratégique” pose question. Explications.

(...) Le chancelier allemand, Friedrich Merz, déclarait dès vendredi que l’État hébreu “a le droit de défendre son existence et la sécurité de ses citoyens”, tout en appelant les deux parties “à s’abstenir de toute action susceptible d’entraîner une nouvelle escalade et de déstabiliser la région.” Même son de cloche à Londres où Keir Starmer "a été clair sur le fait qu’Israël a le droit de se défendre et a fait part des graves inquiétudes du Royaume-Uni concernant le programme nucléaire iranien", selon un porte-parole du Premier ministre.

Paris a, pour sa part, “plusieurs fois condamné le programme iranien en cours et a pris toutes les mesures diplomatiques en ce sens”, a expliqué le président Emmanuel Macron, ajoutant que “dans ce contexte, la France réaffirme le droit d’Israël à se protéger et à assurer sa sécurité.” (...)

Cette prise de position commune de l’E3 – le surnom donné à ces trois pays européens lors des négociations sur le nucléaire iranien il y a plusieurs années – a surpris plusieurs experts. “Au moment où, même timidement, (ils) commencent à critiquer le comportement israélien à Gaza (...), ces pays sont venus apporter leur soutien à Israël en passant sous silence le fait que c’est (l’État hébreu) qui a pris l’initiative de la guerre (...), une violation manifeste et grave du droit international”, réagit Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Le “renversement de la position française” est particulièrement pointé du doigt par Agnès Levallois, qu’elle qualifie sur l’antenne de France 24 de “magistral” : ““Emmanuel Macron avait haussé le ton contre Benjamin Netanyahu et maintenant on a (un président) qui dit ’on sera prêts, nous, la France, à participer avec Israël dans la guerre contre l’Iran’”, explique la présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient et enseignante à Sciences-Po Paris, “alors que c’est Israël qui a lancé ces attaques qui s’inscrivent à l’encontre du droit international". (...)

“Pourquoi appuyer une attaque militaire qui remet en cause les négociations ?”

Tout en apportant leur soutien à Israël en guerre, les dirigeants des trois pays continuent de pousser pour une résolution diplomatique de la crise.

Un paradoxe que ne manque pas de souligner Thierry Coville, chercheur à l’Iris spécialiste de l’Iran. Ce dernier se dit “surpris et interloqué” par ce positionnement : “Pourquoi valider, appuyer une attaque militaire qui remet en cause les négociations en cours entre l’Iran et les États-Unis ? On valide une action qui torpille des discussions pour justement empêcher que Téhéran donne des garanties que son programme nucléaire reste civil, cette logique dépasse mes compétences”, admet-il.

Téhéran et Washington étaient, en effet, en négociations depuis deux mois à Oman. Un nouveau round de discussions – le sixième depuis mi-avril – devait d’ailleurs se tenir dimanche 15 juin, avant que l’offensive israélienne ne le remette en cause, Téhéran estimant après le début des frappes sur son territoire que ces pourparlers n’avaient "pas de sens”. (...)

Israël n’a jamais caché son opposition à ces négociations. (...)

“Pas de réelle autonomie stratégique” de l’Europe

En plus de marges de manœuvre réduites, les trois États européens ne semblent plus perçus par Téhéran comme ayant une influence de poids. Une perte de crédibilité qui s’explique aisément, selon Thierry Coville, pour qui leur crédit a été entamé en 2018 : “La sortie de Trump de l’accord a été la première rupture dans cette stratégie européenne”, explique-t-il. “Quand l’Iran leur a demandé ce que (l’E3) comptait faire pour lutter contre les sanctions américaines, les Européens ont dit ‘on va faire des choses’... mais la réponse concrète n’a pas été à la hauteur.”

L’UE a bien tenté une riposte hasardeuse aux sanctions américaines, sans grand succès. Et à partir du retrait américain, l’Iran – fragilisé économiquement par les sanctions de Washington – a commencé à revenir sur ses engagements en matière d’enrichissement nucléaire. (...)

Cet isolement de Téhéran justifie que les Européens aient été tenus en marge des négociations entre l’Iran et les États-Unis ces derniers mois, selon le chercheur à l’Iris : “Je ne sais pas si les Européens se rendent compte à quel point leur crédibilité s’est envolée. Les Iraniens se sont retrouvés seuls face aux Américains”, poursuit-il. “C’est pour cela qu’à la reprise des discussions, ils se sont dits ’de toute façon on ne peut pas compter sur eux’ et ont négocié uniquement avec les États-Unis pour tenter d’obtenir un accord durable."

Le rôle visiblement secondaire joué maintenant par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni permet de comprendre le positionnement ambigu des trois pays lors de l’attaque d’Israël sur le territoire iranien. Cette ligne de crête diplomatique a donné lieu à un “en même temps” d’Emmanuel Macron qui, tout en ne "partageant pas cette approche et la nécessité d’une opération militaire" a néanmoins fait valoir que ces frappes avaient eu "des effets qui vont dans le sens recherché".

“Le président français est dans une position délicate, il veut exister à l’international et a une marge de manœuvre réduite”, précise Pierre Berthelot. Plus généralement, cette perte d’influence européenne se constate sur le nucléaire iranien mais aussi dans d’autres dossiers comme la guerre en Ukraine. “Il n’y a pas eu de réelle autonomie stratégique des Européens qui ont finalement suivi grosso modo la ligne des États-Unis”, conclut le spécialiste. L’omniprésence de Donald Trump sur la scène internationale – avec des résultats mitigés – donnera peut-être l’occasion à l’Europe de retrouver une voix singulière.