
Mediapart publie la lettre que Reza Khandan, militant des droits humains et époux de l’avocate Nasrin Sotoudeh, a fait sortir de la prison où il est détenu. Un témoignage exceptionnel sur la condition carcérale dans un Iran alors sous les bombes israéliennes.
Dans une lettre rédigée depuis sa cellule, que Mediapart publie ci-dessous, Reza Khandan, militant des droits humains et époux de la célèbre avocate et activiste Nasrin Sotoudeh, livre un récit glaçant sur le sort inhumain qui lui a été réservé, ainsi qu’à ses codétenus, alors que l’Iran était sous le feu des bombes israéliennes. Un témoignage exceptionnel sur la condition des prisonniers et prisonnières politiques.
Il décrit la brutalité de leur transfert, en pleine guerre d’Israël contre l’Iran, de la sinistre prison d’Evin, à Téhéran, vers celle de Borzog (connue sous le nom de Fashafouyeh), la prison centrale du Grand Téhéran, la plus grande du pays, à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale.
Cible d’un bombardement israélien qui a fait plus de soixante-dix mort·es et des dizaines de blessé·es, le 29 juin, la prison d’Evin est l’un des symboles de la répression de la dictature islamique d’Iran, qui y concentre opposant·es, prisonniers étrangers ou binationaux. (...)
Marié à Nasrin Sotoudeh, figure de la lutte pour les droits humains et des femmes, récompensée par de nombreux prix dans le monde, Reza Khandan, graphiste de son métier, a milité contre le port obligatoire du voile et la peine de mort en Iran. Il a soutenu sans jamais faillir sa femme, emprisonnée à de multiples reprises, comme entre 2018 et 2021.
Nasrin Sotoudeh connaît très bien les barreaux de la prison d’Evin, derrière lesquels elle a été jetée pour avoir défendu des jeunes femmes qui refusaient de porter le voile (elle a alors été condamnée à cinq ans de prison pour espionnage puis à dix années supplémentaires en 2019 et à 148 coups de fouet, notamment pour « incitation à la débauche », peine qui a par la suite été encore alourdie).
En 2019, Reza Khandan a été condamné à six ans de prison par contumace pour atteinte à la sécurité nationale et diffusion de propagande anti-État, pour avoir entre autres conçu et distribué des épinglettes portant la phrase suivante : « Je m’oppose au port obligatoire du hidjab ».
Il a été arrêté à son domicile et incarcéré en décembre 2024 pour purger cette peine. Voici sa lettre. (...)
Nous avions anticipé toutes les éventualités d’une attaque aérienne contre la prison d’Evin, voire ses environs, et en avions expliqué les conséquences en détail.
Mais aucune mesure, même minime, n’a été prise pour la libération des détenus. Le lundi 23 juin, la prison d’Evin a été attaquée.
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Les prisonniers tués étaient des personnes qui travaillaient dans la cour de la prison ou dans les services administratifs.
Mais je souhaite désormais lever le voile sur une autre tragédie, survenue après l’attaque aérienne.
Tard dans la nuit du 23 au 24 juin, il a été soudainement annoncé que les prisonniers d’Evin devaient être transférés au plus vite vers la prison de Fashafouyeh, la Grande Prison de Téhéran. Pour beaucoup de détenus, la destination n’a même pas été précisée.
Au fil des années, grâce à d’énormes sacrifices financiers des familles, les prisonniers avaient progressivement pu réunir quelques biens leur permettant de survivre. Dans de telles circonstances, il était impossible de les emporter. La valeur de ces biens personnels et collectifs est non négligeable.
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Nous nous tenions debout, à côté des bus, au sommet de la colline surplombant Téhéran, quand une autre attaque aérienne a commencé, suivie de tirs incessants de la défense antiaérienne. La panique s’est emparée de tous. Les prisonniers, attachés les uns aux autres, ne pouvaient ni bouger ni se mettre à l’abri.
J’étais contraint de porter, en plus de mes propres affaires, les effets de mon codétenu en permission, ainsi qu’un sac contenant une partie des biens collectifs de notre cellule. Les sacs étaient très lourds ; j’ai dû en abandonner plusieurs sur la route. Étant attachés deux à deux, chaque mouvement déséquilibrait l’autre, et les blessures à nos chevilles provoquées par les chaînes nous faisaient souffrir.
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L’histoire de cette prison, qui n’est que torture, exécution et atrocité, véritable symbole de violence et de répression, touche à sa fin. Mais pour autant ces exactions sont loin d’être finies en Iran. Seul leur lieu de pratique va changer.
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Une longue file de prisonniers terrorisés, aux mains et aux pieds enchaînés, traînant chacun ses affaires personnelles, s’étirait dans l’obscurité. Chaque mouvement de l’un arrachait un gémissement à l’autre. Des soldats armés passaient près de nous, nous insultaient, nous humiliaient, nous menaçaient, puis recommençaient, inlassablement.
Cela devait se passer de la même manière en Allemagne nazie et dans leurs camps de travail forcé. Notre dignité humaine avait été piétinée.
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Je peux dire sans hésitation qu’aucun régime dans l’histoire n’a trahi à ce point son propre peuple. Nul n’a repoussé les limites de la sauvagerie, de la répression et de la violence brute aussi loin.
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Cela fait maintenant quelques jours que nous sommes dans cette nouvelle prison. Nous n’étions pas encore sortis du choc des bombardements et de notre transfert brutal, que déjà l’enfer de cette prison nous dévoilait son terrible visage. La violence et l’intimidation étaient déjà en plein essor et n’attendaient que notre arrivée.
Le niveau de désorganisation, de saleté, de promiscuité et de manque d’hygiène nous a tous abasourdis. Les cellules, pleines de prisonniers, grouillent de punaises de lit, de mouches et d’insectes nuisibles. Pas un moment de repos ou de répit. L’eau de la prison est saumâtre et dégage une odeur de marécage. L’eau en bouteille vendue dans le magasin de la prison est extrêmement rare, ce qui rend les journées brûlantes d’été encore plus insupportables.
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Pour finir, je souhaite rendre hommage à une femme. Une médecin, spécialiste des maladies infectieuses, qui, chaque lundi, à heure fixe, se rendait dans les différents bâtiments pour examiner les prisonniers.
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