
Alors que des pluies torrentielles ont causé mardi 20 mai la mort de trois personnes dans le Var, l’urbaniste Amandine Richaud-Crambes estime que ces événements extrêmes dévoilent les lacunes en matière d’adaptation du pays ainsi qu’une perte de mémoire du risque naturel.Alors que des pluies torrentielles ont causé mardi 20 mai la mort de trois personnes dans le Var, l’urbaniste Amandine Richaud-Crambes estime que ces événements extrêmes dévoilent les lacunes en matière d’adaptation du pays ainsi qu’une perte de mémoire du risque naturel.
(...) Le pourtour méditerranéen est devenu une des régions mondiales les plus touchées par le réchauffement planétaire, comme l’a précisé le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Les scientifiques estiment que ce bassin océanique se réchauffe 20 % plus vite que le reste du globe.
Urbaniste et ingénieure en environnement, Amandine Richaud-Crambes, experte des risques naturels en région méditerranéenne, revient sur cet événement extrême qui a frappé le Var. Elle rappelle les dangers de l’artificialisation des sols à tous crins, la nécessaire adaptation au réchauffement planétaire et les besoins d’inculquer une culture de la prévention des risques à l’heure du chaos climatique. (...)
Amandine Richaud-Crambes : Ce n’est pas un événement rare. Le problème est qu’il n’est pas normal que ce type de phénomène se déroule au printemps. Les épisodes méditerranéens sont très fréquents, surtout sur cette partie du Var. Et, malheureusement, ce n’est pas la première fois qu’il y a des morts à la suite d’intempéries aussi violentes. (...)
Sauf que ces événements catastrophiques sont accentués par deux facteurs. Tout d’abord, le changement climatique : habituellement, les épisodes méditerranéens se déroulent en automne et jusqu’à décembre. Mais à cause de chaleurs printanières anormales, la mer Méditerranée se réchauffe déjà, ce qui conduit à des dépressions météorologiques et donc à des précipitations importantes. À cela s’ajoutent des températures au sol très chaudes sur le littoral du Var, intensifiant la violence de l’épisode orageux.
Le Lavandou a enregistré près de 250 mm de précipitations en une heure.
C’est ce qui se passe normalement pour un épisode méditerranéen. Ce sont d’énormes volumes d’eau qui peuvent tomber entre une heure et vingt-quatre heures. Dans la région, on a observé encore cet hiver des épisodes méditerranéens de cette envergure-là. (...)
Et ce qui s’est passé, c’est qu’un des cours d’eau locaux qui va jusqu’au Lavandou, la Môle, est très urbanisé, très canalisé, comme presque toutes les rivières en France. Particulièrement artificialisées, elles représentent ce qu’on appelle des lits secondaires qui originellement jouaient le rôle de bassins de débordement des eaux.
En conséquence, non seulement l’urbanisation de ces rivières empêche l’infiltration des pluies dans les sols, mais accélère aussi les flux d’eau. Associé à la topographie du Lavandou, un événement pluvieux important devient alors très violent. Ces mêmes éléments – des précipitations fortes et stationnaires, une topographie particulière, l’artificialisation des rivières – ont été à l’origine des inondations meurtrières à Valence, en Espagne, à l’automne dernier. (...)
Les systèmes d’alerte qui existent actuellement sont multiples et déjà très efficaces. Il faut savoir les respecter. Une alerte orange avait été émise pour le Var, ce qui appelle déjà à de nombreuses mesures de prévention. Et les services de l’État, la sécurité civile, les pompiers étaient prêts à intervenir.
Mais il faut avoir en tête que, dès que l’alerte est orange, on ne va pas chercher sa voiture, on ne sort pas, on évite les zones à risque. C’est là que nous avons un souci, parce que malheureusement un couple est mort au Lavandou parce qu’ils sont sortis de leur appartement inondé, non loin du bassin de crue. Le troisième décès est celui d’une femme à Vidauban qui était dans son véhicule durant les pluies. 90 % des morts durant ces catastrophes sont dues à des erreurs humaines de non-prise en compte du risque. Nos systèmes d’alerte sont bons, ce qu’il manque aujourd’hui c’est travailler toujours plus sur la prévention. (...)
Les élus locaux ont tout de suite qualifié les dégâts provoqués par les orages d’« images de guerre », mais ce sont des images de bêtises urbanistiques, de changement climatique.
Le réchauffement planétaire nous rappelle ici qu’il faut désormais privilégier l’habitation et l’adaptation, plutôt que le tourisme et l’économie à tout-va. (...)
Le maire de Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes) m’a assuré encore l’hiver dernier qu’on ne peut pas à la fois demander à construire des logements sociaux, de faire du « zéro artificialisation nette » tout en réduisant les risques naturels. C’est faux. Il faut que certaines zones soient plus constructibles. Mais aussi déplacer, et c’est très dur, les populations qui habitent dans des zones à risque. Ou encore, désendiguer les bassins de rivière, c’est-à-dire relaisser de la place à la nature. Toutes ces mesures difficiles sont possibles à déployer avec le PLU.
En attendant, nombre d’élus bataillent pour détricoter voire supprimer la loi « zéro artificialisation nette ». Mais en tant qu’experte des risques naturels en Méditerranée, et venant du Sud, où j’ai grandi avec ces risques inondation, je vois l’artificialisation s’aggraver et surtout, une perte de mémoire du risque. (...)