
"J’ai rencontré ma femme en Tunisie, elle travaillait dans le même hôtel que moi. J’étais cuisinier, elle était agent d’entretien. La vie se passait bien pour nous. Mais au bout de quelques années, j’ai voulu plus. J’ai voulu gagner plus. Je me suis dit que je pouvais aller en Europe, à Bruxelles. J’étais plutôt doué en foot, je me disais que j’aurais peut-être une opportunité là-bas. Alors j’ai contacté des gens [des passeurs, ndlr]... Et en 2017, j’ai proposé à ma femme de passer en Libye. Elle a accepté. Je regrette encore cette décision...
"En Libye, on a vu des choses horribles"
Nous avons donc traversé la frontière libyenne et nous sommes arrivés à Zouara puis à Sabratah [dans l’ouest de la Libye, ndlr]. Les passeurs nous avaient enfermés dans le coffre de leur voiture pour nous envoyer dans un endroit qui était, il me semble, un ancien camp de la marine. Nous sommes restés là deux ou trois mois. C’était dur, mais je me disais qu’il fallait un peu patienter et que nous prendrions la mer bientôt. Ce n’était qu’une question de temps.
Deux jours avant notre traversée programmée, notre camp a été attaqué par une milice, des "Asma boys
". On a été capturés et on nous a emmenés dans un autre endroit, toujours dans les environs de Sabratah, une prison clandestine. Là, tout est devenu très dur. (...)
On a vu des choses horribles avec ma femme... J’ai vu une personne mourir sous mes yeux, elle est décédée de dysenterie. C’était une Ivoirienne. Elle n’a pas été soignée. Il n’y avait aucune aide sanitaire ou médicale, on était dans un endroit clandestin. C’était la jungle. J’ai été frappé à la hanche à plusieurs reprises, j’ai encore mal aujourd’hui. On me disait de payer une rançon pour que je sois libéré mais je n’avais personne à qui en demander. Alors, ils me frappaient encore. (...)
Un jour, on a été libérés, je ne sais pas trop qui étaient les gens qui sont venus nous délivrer. Puis ils nous ont remis aux autorités libyennes. J’ai cru que les choses allaient s’arranger pour nous, on a même croisé pour la première fois des personnes de l’OIM [Organisation internationale des migrations, ndlr].
Entre temps, j’avais renoncé à traverser la mer. J’avais dit à ma femme : ’On arrête tout, on rentre’. On voulait demander un rapatriement dans notre pays. (...)
Mais en attendant que nos dossiers soient examinés par l’OIM, les autorités nous ont transférés dans une autre prison, une prison officielle, cette fois-ci, Gharyan Al Hamra [gérée par la DCIM, la Direction libyenne de lutte contre la migration illégale, ndlr].
"Pendant plusieurs semaines, je n’ai pas su si ma femme était en vie"
À ce moment-là, j’ai été séparé de ma compagne. Elle n’est pas restée à Gharyan. Je ne sais pas où elle a été emmenée. Je culpabilisais énormément. (...)
Ma femme m’a dit par téléphone qu’elle allait se rendre à l’OIM pour demander un retour en Côte d’Ivoire. J’ai su par la suite qu’elle avait échappé de peu à un enlèvement. Son taxi ne prenait pas la route des locaux de l’ONU à Tripoli. Elle aurait pu être vendue. Elle a sauté de la voiture en marche. (...)
Puis, un matin, l’OIM est venue me chercher et m’a renvoyé chez moi par avion. Je suis rentré seul à Abidjan, c’était le 20 décembre 2017, je crois. Je n’avais plus rien, je n’avais que les vêtements que je portais sur moi et un peu d’argent, 100 000 francs CFA que m’avait donné l’OIM [environ 150 euros]. J’ai attendu ma femme. Elle est arrivée un mois après, en janvier 2018. Quand je l’ai retrouvée à l’aéroport, elle avait perdu beaucoup de poids, elle était méconnaissable. Mais j’étais fou de joie qu’elle soit en vie".
Les mois suivants, Vasseko et sa femme essaieront de se reconstruire à Abidjan malgré les "moqueries" des autres qui leur reprochent d’avoir échoué dans leur migration vers l’Europe. ’On souffrait beaucoup psychologiquement’. Mais Vasseko n’a jamais regretté son choix de retour (...)
Aujourd’hui, huit ans plus tard, Vasseko a réussi à rebondir. Il gagne sa vie, a trouvé un emploi stable à l’hôtel Lepic. Sa femme, elle, a lancé son petit commerce. Ils ont aujourd’hui deux enfants, de six ans et deux ans.
Aujourd’hui, huit ans plus tard, Vasseko a réussi à rebondir. Il gagne sa vie, a trouvé un emploi stable à l’hôtel Lepic. Sa femme, elle, a lancé son petit commerce. Ils ont aujourd’hui deux enfants, de six ans et deux ans. (...) (...)