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Agence Media Palestine
Journalisme embarqué
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #genocide #famine #journalistes
Article mis en ligne le 7 octobre 2025
dernière modification le 6 octobre 2025

Le reportage publié samedi 4 octobre par l’envoyé spécial du Monde à Jérusalem est présenté çà et là comme un incontournable. Certes, il a été rédigé par un journaliste étranger à l’intérieur de Gaza, dont Israël interdit l’accès depuis deux ans. Mais les apparences d’un événement s’arrêtent là, car quelques soient ses qualités, l’article s’inscrit dans une stratégie du gouvernement israélien sur laquelle les rédactions feraient bien de se positionner clairement et rapidement.

Le 10 août, lors d’une conférence de presse internationale, Netanyahu a annoncé qu’une directive venait d’être adoptée pour permettre l’accès de reporters étrangers à Gaza.

Dans les faits, plusieurs journalistes israéliens avaient déjà été autorisés à pénétrer dans l’enclave avant août 2025, de même qu’un certain nombre d’influenceurs et « experts » invités à documenter les bienfaits de l’action humanitaire israélienne. Certains journalistes étrangers ont également participé à de telles « incursions » : le correspondant de Radio France à Jérusalem, par exemple, y a été deux fois et témoigne qu’« il est impossible d’échanger avec des habitants gazaouis dans ce cadre ».

En réalité, une seule journaliste occidentale est parvenue à pénétrer brièvement dans Gaza de manière indépendante : Clarissa Ward, de CNN, qui s’est infiltrée avec une équipe médicale des Émirats arabes. L’historien Jean-Pierre Filiu, lui, y a voyagé pendant un mois avec Médecins sans frontières, expérience dont il a tiré un livre.

Tous les autres journalistes embarquent dans le cadre d’expéditions strictement encadrées par l’armée israélienne, qui les conduit d’un point A à un point B pour leur montrer exactement ce qu’elle veut qu’ils voient.

Lorsque Netanyahu a annoncé son intention d’étendre cette pratique, il a aussitôt pris des airs de tour-opérateur, détaillant par le menu ce que ses safaris permettraient d’observer. Les chanceux participants pourront constater « nos efforts pour faire venir de la nourriture à Gaza », découvrir « des Gazaouis combattant le Hamas », admirer des destructions qui, loin d’être causées par Israël, sont imputables au seul Hamas, lequel « piège presque tous les bâtiments »… sans oublier l’attraction principale représentée par les tunnels, malheureusement « situés sous des immeubles » — lesquels s’effondrent sous l’action des explosifs, c’est normal. (...)

Si le reportage du Monde, et dans une moindre mesure celui d’Associated Press, précisent le contexte et dépeignent le paysage apocalyptique laissé par l’offensive sur Gaza, ils n’apprendront toutefois rien à ceux qui suivent le travail des journalistes palestiniens.

Un malaise peut ainsi s’installer à leur lecture. (...)

peut-être surtout, parce qu’ils n’explorent pas le contexte même de leur fabrication : dans quelles conditions ce périple a-t-il été proposé, quels médias ont été sélectionnés, les journalistes ont-ils pu poser des questions, quelles consignes leur ont été données, leurs articles ont-ils été soumis à censure militaire… ? Autant de points laissés dans l’ombre.

Après deux années d’une « guerre » qui pourrait enfin toucher à sa fin, et alors qu’Israël a tenté de contrôler le récit jusqu’à tuer près de 300 journalistes palestiniens, le principal enjeu journalistique n’est-il pas de décrypter la stratégie dans laquelle s’inscrivent ces tours organisés ?

Ils préfigurent, à n’en pas douter, un journalisme sous tutelle. (...)

Lorsque les fédérations de presse et des organisations comme Reporters sans frontières portent la revendication d’un accès libre des journalistes à Gaza, la meilleure manière de les soutenir n’est-elle pas de refuser de se prêter à ce type d’exercice ?

Lorsque l’accès à Gaza reste interdit aux journalistes en dehors de ces voyages ponctuels réservés à des médias triés sur le volet, peut-on y prendre part sans contribuer, même malgré soi, à la banalisation de cette pratique qu’Israël a de toute évidence intérêt à généraliser  ? (...)