
Berlin multiplie les mesures et les procédures censées faciliter le recrutement dans des pays tiers. Mais rien n’y fait : le nombre d’arrivées reste loin des attentes.
Il a fallu un an à Grace Ochieng (nom d’emprunt) pour obtenir son visa afin de venir étudier en Allemagne. "Et puis la folie avec le visa a commencé", raconte-t-elle.
Malgré son bon niveau en allemand, la Kenyane de 26 ans s’est perdue dans le labyrinthe de la bureaucratie allemande.
Grace est pourtant titulaire d’une bourse pour des études en relations internationales, d’une promesse d’un emploi pour financer ses études et d’un épais dossier de candidature sur lequel elle a travaillé pendant deux mois.
"C’est regrettable. Cela a eu un impact énorme sur moi et sur le début de mes études. À cause de la procédure de visa, certaines personnes ne viennent pas ici", constate-t-elle.
L’un de ses amies s’est heurtée à des obstacles encore plus importants : sa demande de visa pour un semestre à l’étranger s’est éternisée au point de lui faire rater le semestre et ainsi la possibilité d’étudier en Allemagne.
"Le problème, c’est surtout la communication. Lorsque vous appelez l’ambassade d’Allemagne, elle ne répond pas. Lorsque vous écrivez des e-mails, ils ne répondent pas. Vous retenez constamment votre souffle parce que vous ne savez jamais s’ils vont dire oui ou non", explique Grace.
La lourdeur administrative (...)
Les besoins de l’économie allemande sont énormes
L’Allemagne a besoin de faire venir 288 000 à 400 000 travailleurs qualifiés étrangers par an, selon une étude réalisée en 2024 par l’Institut Bertelsmann sur la base d’estimations de l’Institut allemand de recherche sur l’emploi (IAB).
Sans ce niveau d’immigration, le pays sera confronté à une grave pénurie de main-d’œuvre d’ici 2040, avec des conséquence considérables sur la croissance économique et la compétitivité allemande.
En avril 2025, l’Agence fédérale pour l’emploi a publié environ 646 000 offres d’emploi, principalement dans les domaines de la santé, l’éducation et des technologies de l’information. Mais la plupart de ces postes restent à pourvoir.
Depuis juin 2024, l’Allemagne propose une "carte d’opportunités" pour la recherche d’emploi. Il s’agit d’un visa censé permettre aux travailleurs qualifiés provenant d’États non membres de l’Union européenne de venir en Allemagne sans avoir au préalable un contrat de travail et de chercher un emploi une fois arrivé dans le pays. (...)
Les personnes éligibles doivent pouvoir attester d’au moins deux ans de formation professionnelle ou d’un diplôme universitaire ainsi que de connaissances de base en allemand ou en anglais.
Las carte s’appuie sur un système de points qui évalue également l’expérience professionnelle, l’âge et les compétences nécessaires en Allemagne. (...)
Les accords migratoires bilatéraux
L’Allemagne a également signé un accord migratoire avec le Kenya en 2024 afin d’attirer des travailleurs, notamment dans les domaines des soins infirmiers et de l’hôtellerie.
L’ancien chancelier Olaf Scholz assurait au moment de la signature de l’accord que le Kenya disposait d’un "nombre incroyable d’experts en informatique" qui bénéficieraient d’une formation en Allemagne.
Le Kenya est jusqu’à présent le seul pays africain avec lequel l’Allemagne a réussi à conclure un tel accord migratoire. Là encore, sans résultats. A la fin de l’année 2024, seules 90 infirmières kenyanes étaient arrivées en Allemagne par cette voie.
Une fois de plus, la lourdeur administrative serait dissuasive pour de nombreux candidats.
Par ailleurs, l’Allemagne rejette une nombre important de demandes de visa provenant de pays d’Afrique subsaharienne. (...)
"Une carte d’opportunité, mais que pour certains" (...)
"La carte d’opportunité n’est une carte d’opportunité que pour certaines personnes. Il faut d’abord remplir les conditions préalables. Ce sont des critères qui n’ont pas nécessairement d’importance pour les employeurs, mais qui comptent pour le gouvernement fédéral". (...)
"Les autorités allemandes veulent des documents originaux, ce qui n’est parfois pas possible. Ensuite, les candidats doivent prouver à quel point ils sont autonomes. Et même si les employeurs potentiels prennent en charge les frais du candidat, il arrive que cela ne soit pas considéré comme suffisant".
L’hostilité envers les étrangers
Par ailleurs, il faut "prendre en compte le climat politique en Allemagne, au-delà de l’empressement du gouvernement à faire venir les gens ici et se demander si l’Allemagne peut effectivement devenir un nouveau foyer pour les Kenyans, les Ghanéens, les Sierra-Léonais ou encore les Sud-Africains", explique Khadi Camara. Il ajoute que "nous ne pouvons pas ignorer le racisme. Le gouvernement allemand doit adopter une position claire pour dire que les gens sont les bienvenus ici".
Pour Khadi Camara, cela passe également par la fin des barrières linguistiques : "Dans d’autres pays, il n’est pas nécessaire de remplir certaines exigences linguistiques et c’est probablement pourquoi ces pays sont plus attrayants. L’année dernière, Christian Lindner [alors ministre allemand des Finances] était au Ghana dans une université et a demandé qui voulait venir travailler en Allemagne. Personne n’a levé la main". (...)
Concurrence internationale
Selon Khadi Camara, l’Allemagne doit réaliser qu’elle est en concurrence avec d’autres pays pour attirer des travailleurs qualifiés "Les alliances mondiales sont en train de s’effondrer en ce moment même, et nous devons donc chercher de nouveaux partenaires. Beaucoup d’entre eux se trouvent sur le continent africain". (...)