
Tirant avantage des problèmes d’effectifs et de commandement ukrainiens, la Russie avance lentement mais inexorablement dans le Donbass. Dans ce contexte, le président ukrainien a évoqué pour la première fois l’idée d’un référendum pour décider – ou non – de céder des territoires à Moscou.
(...) même si l’offensive lancée par l’armée russe début mai n’a pas permis de menacer sérieusement la deuxième ville d’Ukraine, Kharkiv, elle a obligé les Ukrainiens à retirer certaines de leurs unités du Donbass, à l’est du pays, où l’armée russe progresse lentement mais régulièrement. Les forces de Kyiv tiennent et sauvent l’essentiel, mais personne ne sait pour combien de temps encore.
Est-ce cette situation militaire inquiétante qui a poussé Volodymyr Zelensky à envisager des décisions politiques difficiles ? Il a, depuis la mi-juillet, fait plusieurs déclarations inimaginables il y a encore quelques mois. (...)
« J’estime qu’il ne faut pas libérer tous nos territoires par la force et par les armes, car cela nous coûte beaucoup de temps et de vies humaines. C’est pourquoi je pense que nous pouvons récupérer nos territoires par la voie diplomatique », a-t-il ainsi déclaré lors d’un entretien avec plusieurs journalistes français, publié le 31 juillet. Il a également redit, comme il l’avait fait il y a une dizaine de jours, son souhait que des représentants de Moscou participent à un sommet pour la paix en novembre.
Un discours qui tranche spectaculairement avec la fermeté passée de Volodymyr Zelensky, pour qui le retrait de l’armée russe de tous les territoires ukrainiens qu’elle occupe a longtemps été un préalable à toute idée de négociations avec Moscou.
Ballon d’essai
Le président ukrainien est allé encore plus loin. À la question de savoir si l’Ukraine pourrait, à terme, céder certains de ses territoires à la Russie, une hypothèse jamais envisagée publiquement jusqu’ici, Volodymyr Zelensky a répondu : « L’Ukraine ne renoncera jamais à ses territoires car il s’agirait d’une atteinte à la Constitution »... avant d’estimer que cela serait toutefois possible si les Ukrainien·nes le décidaient via un référendum.
« Ce n’est pas la meilleure option, a ajouté le dirigeant, car [l’Ukraine a] affaire à Poutine, et pour lui ce sera une victoire s’il récupère une partie de [leurs] territoires. » Il n’empêche : l’idée est lâchée.
« Cela ressemble à un ballon d’essai, tant vis-à-vis de la Russie que de sa propre population, analyse Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Il veut voir la réaction politique : est-ce que proposer cela va lui valoir un retour de bâton ou non ? »
Pour l’heure, le ballon d’essai semble voler sans encombre. La sortie de Zelensky n’a pas provoqué de levée de boucliers : jeudi 1er août, les articles sur le sujet étaient déjà éclipsés à la une des journaux ukrainiens par ceux sur l’échange historique de prisonniers avec la Russie et la médaille d’argent du tireur ukrainien Serhiy Kulish aux JO de Paris. (...)
si le sujet des concessions territoriales est très délicat, l’aborder par la question d’un référendum est plutôt habile. Elle replace le président ukrainien dans la position d’un chef d’État à l’écoute de ses citoyen·nes. Surtout, l’opposition aura bien du mal à se dire contre : l’idée du référendum a été formulée récemment par l’un des principaux opposants à Zelensky, le maire de Kyiv, Vitali Klitschko. (...)
L’Ukraine a perdu la bataille des effectifs
Si l’armée russe avance autant, c’est en grande partie parce que l’Ukraine a perdu la bataille du nombre. (...)
Pour continuer de recruter, les autorités russes proposent des salaires mirobolants aux engagés volontaires (...)
À l’inverse, les Ukrainien·nes peinent à garnir leurs rangs. Une loi a bien été adoptée en avril, afin de mobiliser davantage. Elle abaisse de 27 à 25 ans l’âge auquel les Ukrainiens peuvent être appelés sous les drapeaux. Mais elle tarde à produire ses effets. (...)
Faute de nouvelles recrues pour les remplacer, les brigades ukrainiennes restent de longs mois au front sans être relevées, s’épuisent et ne peuvent pas revenir à la vie civile.
À ces problèmes d’effectifs s’ajoutent des problèmes de commandement. Plusieurs avancées russes récentes dans le Donbass, dans la ville de Toretsk par exemple (voir carte), ont surpris les observateurs. Ils les attribuent, après avoir interrogé soldats et officiers, à « un manque de coordination et de mauvaises décisions du commandement ». (...)
Ces soucis de commandement sont liés à l’histoire de l’armée ukrainienne – qui avait, lorsque la Russie a lancé son invasion en février 2022, entamé mais pas achevé sa transformation d’armée soviétique en armée d’inspiration occidentale – et aux aléas de la guerre : de nombreux officiers supérieurs ont été tués, quand d’autres étaient affectés au commandement de brigades avant d’avoir achevé leur formation.
Ils se sont manifestés, ces derniers mois, par une mauvaise préparation des fortifications, et par des rotations ou des replis d’unités ukrainiennes mal organisés. Le 24 juillet, des troupes ukrainiennes encerclées à Prohres ont dû prendre seules l’initiative de se replier, qui n’est jamais venue de leurs chefs.
Rouleau compresseur
Le front ne s’est pas pour autant brusquement effondré en faveur des Russes. « Pour l’instant, c’est une avancée plutôt méthodique, et plutôt décourageante parce qu’elle est assez inexorable. C’est un rouleau compresseur qui avance pas à pas », explique Stéphane Audrand.
Cette lenteur s’explique par la méthode employée. Les troupes russes progressent littéralement au rythme de marche de leurs fantassins. (...)
De fait, en lieu et place de tanks, la Russie envoie des vagues incessantes de soldats, appuyées par de l’artillerie et un soutien aérien, qui finissent par passer à force de pilonner – car Moscou dispose toujours de plus de munitions que Kyiv. (...)
L’armée ukrainienne garde tout de même quelques raisons d’espérer. Au niveau international, Donald Trump et son colistier qui « se fout de l’Ukraine », J. D. Vance, que Moscou verrait sans aucun doute arriver à la Maison-Blanche avec plaisir, semblent en moins bonne posture dans la course à la présidentielle américaine depuis que Kamala Harris est devenue la candidate démocrate.
Et à domicile, si la situation sur le front est difficile, l’armée ukrainienne enregistre tout de même des succès grâce à ses frappes dans la profondeur : elles ont forcé la flotte russe à quasiment abandonner la Crimée, péninsule pourtant stratégique pour Moscou. Le chemin est encore long, très long avant un possible référendum qui verrait les Ukrainien·nes renoncer à une partie de leur territoire.