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Mediapart
L’Assemblée, première étape franchie sur le long chemin de l’aide à mourir
#mort #findevie #euthanasie #suicideassiste #soinspalliatifs #validisme #solidarites
Article mis en ligne le 28 mai 2025

Les propositions de loi sur les soins palliatifs et l’aide à mourir ont été adoptées par l’Assemblée mardi 27 mai. Elles vont donc poursuivre leur chemin au Sénat, dominé par Les Républicains, dont les représentants sont majoritairement hostiles au texte. Voici les grands enjeux du texte sur lequel ils devront se prononcer.

À l’unanimité pour le développement des soins palliatifs et très largement, par 305 voix pour et 199 contre, en faveur de l’aide à mourir : c’est ainsi que s’est positionnée, ce mardi 27 mai 2025, l’Assemblée nationale dans deux votes solennels. L’aboutissement de quatre semaines de travail, deux en commission et deux dans l’hémicycle. Sans oublier le débat parlementaire largement engagé en 2024, qui s’est échoué sur la dissolution.

Ce n’est qu’un premier pas dans un parcours d’obstacles parlementaires. Le texte exigera deux lectures dans chacune des deux chambres, puisque le Sénat, majoritairement à droite, interviendra largement sur le texte, s’il ne décide pas de le saborder. Une commission mixte parlementaire tentera de trouver un accord. À défaut, le texte de l’Assemblée nationale sera adopté. (...)

Un très long cheminement démocratique

À l’Assemblée, il n’y a pas eu de mots violents ni d’accusations indécentes. Le débat sur la fin de vie aurait pourtant pu s’y prêter. S’il n’a pas toujours été apaisé, il est resté respectueux. C’était une volonté des député·es de tous bords. (...)

Et parce que le sujet relève de l’intime, est forgé par les expériences vécues, tous les partis ont laissé une liberté de vote à leurs membres.

Le cheminement de la France vers l’aide à mourir est particulièrement long. En 2002, la loi Kouchner sur les droits des malades les autorise à refuser des traitements. En 2005, la loi Leonetti interdit l’obstination déraisonnable dans les soins, et introduit les directives anticipées et la personne de confiance. La loi Claeys-Leonetti en 2016 introduit la sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque les souffrances du malade sont insupportables et que le décès est inévitable et imminent.

Toutes ces mesures n’ont pas suffi. Des personnes gravement malades n’ont cessé de prendre la parole publiquement pour réclamer le droit à mourir. (...)

S’il faut croire les sondages répétés, la légalisation d’une aide à mourir est largement soutenue par l’opinion publique. De manière plus solide, la convention citoyenne, constituée de près de 300 citoyen·nes tiré·es au sort, s’est prononcée aux deux tiers en faveur d’un « accès à l’aide active à mourir », après plus de trois mois de débat et d’auditions.
Le préalable des soins palliatifs

En 2024, le développement des soins palliatifs et la légalisation de l’aide à mourir étaient un même texte : « pas l’un sans l’autre », n’ont cessé de répéter les député·es. François Bayrou, catholique revendiqué, l’a scindé en deux, comme gage donné aux opposants à l’aide à mourir, dont il fait partie.

S’ils sont en progression constante, les soins palliatifs restent inégalement répartis sur le territoire : vingt et un départements n’ont pas d’unité dédiée, même s’ils ont des lits réservés dans des établissements de santé ou des équipes mobiles.

Les député·es ont adopté le principe d’un droit opposable aux soins palliatifs : les malades qui n’y auraient pas accès pourraient se tourner vers leur agence régionale de santé (ARS), puis vers la justice. Doit également être créé un nouveau type d’établissement social et médico-social, les « maisons d’accompagnement et de soins palliatifs », pour les malades qui ne veulent pas mourir à l’hôpital ou dont le domicile n’est pas adapté à une fin de vie sereine.

La proposition de loi est gagée. L’article 7 grave dans le marbre, pour dix ans, un augmentation des moyens pour les soins palliatifs : 100 millions d’euros par an et 1,1 milliard d’euros en tout, entre 2024 à 2034.
De très nombreuses et nombreux député·es ont exprimé leur crainte que des malades demandent l’aide à mourir faute d’accès aux soins palliatifs, dans un système de santé qui vacille. À ces député·es, et « surtout à ceux de droite », Élise Leboucher (La France insoumise, LFI) a donné « rendez-vous au prochain PLFSS », le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Des conditions d’accès strictes et cumulatives (...)

Une demande libre et éclairée (...)

Les malades atteints de démence n’auront donc pas droit à l’aide à mourir, même s’ils en ont exprimé la demande dans leurs directives anticipées, quand ils étaient encore en plein possession de leurs capacités cognitives. Car les médecins, même les plus favorables, « ont absolument besoin d’une ultime réitération, de cet échange, de ce nouveau “oui, docteur, je le veux”, souvent accompagné d’un “merci, docteur” », a expliqué Olivier Falorni.

Les maladies psychiatriques sont exclues de l’aide à mourir, non pas parce que ces personnes ne pourraient pas exprimer « une demande libre et éclairée », mais parce que leur maladie n’engage pas leur pronostic vital. (...)

Une réponse collégiale des soignants (...)

Le médecin qui recueille une demande d’aide à mourir devrait donc mettre en place une « procédure collégiale » : recueillir l’avis d’un médecin spécialiste de la maladie de la personne, celui « d’un auxiliaire médical ou d’un aide‑soignant » qui accompagne le ou la malade, ainsi que de sa personne de confiance.

Ces échanges doivent aboutir sur une décision dans les quinze jours. Si l’avis est positif, l’aide à mourir peut intervenir après un délai de réflexion d’« au moins deux jours ». (...)

La Société française des soins palliatifs ou l’ordre des médecins sont résolument hostiles à l’euthanasie : à leurs yeux, un médecin ne peut pas donner la mort. Cette position n’est certainement pas unanime, comme le suggèrent des sondages et comme le disent à Mediapart des médecins prêts à accomplir le geste létal. (...)

Un acté tracé, déclaré, contrôlé

Tou·tes les soignant·es pourront faire valoir leur clause de conscience et refuser de répondre à une demande d’aide à mourir ou d’y participer. Mais le médecin qui fait valoir sa clause de conscience devra orienter le malade vers un autre médecin disposé à répondre à une demande d’aide à mourir. Le nom de ces médecins sera inscrit dans un registre accessible aux seuls médecins, et pas au grand public.

Aujourd’hui, l’opacité est totale sur la fin de vie des Français·es : il n’existe aucune donnée. Même les sédations profondes et continues jusqu’au décès introduites par la loi de 2016 ne sont pas déclarées. Rien ne s’échappe du huis clos entre un médecin et un·e patient·e.

Cette loi, si elle était adoptée, introduirait enfin de la transparence (...)

À l’initiative de LFI, la proposition de loi crée un délit d’entrave au droit à l’aide à mourir. (...)

« Chacun reste libre de penser, de croire, de s’exprimer, mais cette liberté ne peut pas se transformer en menaces ou en intimidations. » (...)

Lire aussi :

 Aide à mourir : pourquoi il faut se réjouir

Pour la démocratie, pour la laïcité et pour la liberté nouvelle ainsi créée, il faut se féliciter de l’adoption par les députés, mardi 27 mai, d’un droit nouveau : l’aide à mourir. Mais il faut plus que jamais se battre pour sauver notre système de santé, afin que le néolibéralisme ne vienne jamais utiliser ce droit pour trier parmi nous. (...)

Il faut prendre la mesure de la portée de cette loi – ou plutôt de ces deux textes, tant ils sont nécessairement indissociables – dans un équilibre qui a été soupesé avec précaution. (...)

depuis le XIXe siècle, la France s’est dotée de nombreuses lois qui ont conduit la République à rompre avec des dogmes religieux. Au-delà de la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, on pense aux lois sur l’école publique (1882), le divorce (1792, abrogé en 1816, rétabli en 1884), la liberté des funérailles (1887), l’IVG (1975), le mariage pour tou·tes (2013)…

Ces « lois qui affranchissent la loi civile de normes religieuses, dans un même mouvement, les respectent car elles n’obligent personne », rappelle inlassablement l’historien Jean Baubérot, éminent spécialiste de la laïcité. De fait, ces nouvelles libertés laïques n’ont aucun – et heureusement ! – caractère contraignant. Elles n’enlèvent rien à quiconque s’y oppose.

À tous ces textes les cultes – catholique, protestant, orthodoxe, juif, musulman et bouddhiste – se sont opposés. Sur la fin de vie, ils ont signé un appel commun contre ce qu’ils qualifient de « régression éthique, sociale et médicale ». L’Église catholique dénonce « les dangers d’une rupture anthropologique » (des termes déjà entendus avec La Manif pour tous il y a plus de dix ans) ; le Conseil français du culte musulman rappelle que « la tradition musulmane considère que la vie d’une personne ne lui appartient pas » (et c’est bien là le cœur du débat).

C’est donc bien une loi laïque dont il s’agit aujourd’hui de saluer l’adoption par l’Assemblée nationale.

L’argument est pourtant fort peu repris en ces termes par le gouvernement. Un signe de plus de sa laïcité à géométrie variable. (...)

Le contrôle du corps

En d’autres termes : l’aide à mourir, c’est aussi, pour chacun·e d’entre nous, reprendre le contrôle sur soi, son corps, sa vie, ses choix. Surtout dans un pays où la médecine, longtemps enfermée dans ses certitudes et son mandarinat, a trop souvent ignoré la douleur et la souffrance de leurs patient·es.

« Le droit de mourir dans la dignité ne prend pas seulement ses distances avec une conception substantialiste de la “nature” que l’on trouve dans la doctrine catholique officielle. Il constitue une critique du transfert symbolique qui s’est opéré en France (plus qu’ailleurs) de la religion vers la médecine, du rapport quasi religieux de déférence extrême que beaucoup de gens ont à l’égard de l’institution médicale. »

Ces mots sont ceux, encore une fois, de l’historien Jean Baubérot, coauteur avec Raphaël Liogier de Sacrée médecine. Histoire et devenir d’un sanctuaire de la Raison (Entrelacs, 2011). Qui ajoute : « Au cléricalisme traditionnel, le combat laïque doit ajouter l’affrontement avec le cléricalisme médical chaque fois que celui-ci se manifeste. » (...)

Sauver le système de santé

Les critiques sincères de ce texte, aussi, nous chamboulent, nous émeuvent, ou remettent en cause nos certitudes et nos croyances. C’est notamment le cas de celles émises par les militant·es antivalidistes (comme dans cette longue tribune des Dévalideuses), ou par la psychologue Sara Piazza, coauteure de Euthanasie : un progrès social ? Elle y écrit que l’aide à mourir est « le faux-nez d’un ultralibéralisme mortifère qui permettrait de résoudre des problèmes économiques et mettrait en œuvre une fin de vie rapide et pas chère pour les plus fragiles ».

Pour rappel, le texte adopté mardi fixe un cadre : l’aide à mourir ne serait accessible qu’aux personnes ayant une « affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale » et dont la souffrance physique ou psychologique est « réfractaire aux traitements ».

De même, certains pointent le risque de vouloir développer l’aide active à mourir dans une logique d’exploitation capitaliste, ou néolibérale, faisant de tous ceux et toutes celles qui ne sont plus aussi productives un poids pour la société. Un poids dont il faudrait se délester au plus vite.

On retrouve des critiques similaires à propos de l’avortement. Certain·es opposant·es expliquent qu’une partie des femmes souhaitant avorter le font en raison de leurs conditions précaires d’existence. Et que, dans un autre contexte, elles pourraient mener à bout leur grossesse.

Le parallèle avec l’avortement pour les femmes peut sembler audacieux, voire scandaleux : dans un cas, on parle d’un fœtus sans statut juridique quand l’aide à mourir touche des personnes dont l’humanité est au cœur des débats. C’est très différent. Mais des échos existent, et une réponse similaire peut être apportée.

Ce n’est pas l’existence du droit qui génère la pauvreté, la précarité des femmes, ou l’état lamentable du système de santé, la misère de trop de services de soins palliatifs ou la tentation validiste de balayer les corps qu’on estime hors norme, inutiles, trop douloureux (au nom de quoi, pour qui ?).

Ce sont les politiques publiques que l’État met en place et les budgets que les assemblées votent qui permettent, ou non, aux services publics d’assurer leur mission d’intérêt général, aux médecins d’exercer leur mission. Et donc au droit nouvellement créé de se déployer et d’être contrôlé.

Juger les hommes et les femmes de ce pays au regard de leur productivité ou du coût qu’ils ou elles représentent pour la société est une dérive insupportable portée par les tenants d’un libéralisme violent qui trie parmi les êtres humains. Lutter inlassablement contre cette dérive est un combat qu’il faut mener sans faiblir. (...)

« Le “jeunisme” est, effectivement, une idéologie hégémonique de notre société marchande », écrit encore Jean Baubérot, qui évoque les droits des personnes handicapées. Avant d’ajouter : « Le combat contre les stéréotypes sociaux dominants ne doit pas s’effectuer au détriment du choix de mourir dans la dignité. Autant il est nécessaire d’attirer l’attention sur ce type de problème, autant cela ne me semble pas devoir conduire à renoncer à l’émergence d’une nouvelle liberté. »