
Le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse vient d’attribuer le marché public qui vise à équiper ses services centraux et les établissements supérieurs en solutions Microsoft, des postes client aux datacenters. L’enveloppe prévisionnelle se monte à un minimum de 74 millions d’euros, en nette hausse par rapport au précédent contrat, alors même que le ministère vient d’enjoindre dans une nouvelle circulaire les établissements scolaires à exclure « toute utilisation de solution non souveraine dans le domaine de l’éducation ».
Le marché couvre un périmètre important, puisqu’il doit répondre à la fois aux besoins des agents des services centraux ou déconcentrés du ministère de l’Éducation nationale, à ceux des établissements de formation et de recherche, mais aussi à ceux des agents des ministères de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et des Sports et des jeux olympiques et paralympiques.
Il prend la forme d’un accord-cadre qui ne prévoit qu’un montant maximum de dépenses, fixé à 152 millions d’euros hors-taxe, pour une durée maximale de quatre ans. (...)
Les différents scénarios intégrés au dossier de consultation donnent un aperçu des volumes envisagés. Par exemple, 26 000 licences Microsoft 365 A3 sur abonnement mensuel pour les agents du ministère de l’Éducation nationale, ou 6000 licences du même type destinées à des étudiants. (...)
Microsoft et l’Éducation nationale entretiennent pour mémoire une longue histoire, dont les contrats cadre et partenariats successifs soulèvent depuis plus de vingt ans les critiques du monde du logiciel libre. En 2016 déjà, le collectif EduNathon avait assigné l’Éducation nationale pour son partenariat avec l’entreprise américaine, et la CNIL s’en était mêlée.
La précédente édition de ce marché public avait d’ailleurs déclenché une polémique médiatique, suivie d’une plainte déposée par l’association Anticor auprès du Parquet national financier sur la base de « soupçons de favoritisme ». Passé en 2020, l’appel d’offres correspondant envisageait en effet de façon exclusive la « concession de droit d’usage à titre non exclusif, en mode perpétuel ou en mode locatif, de solutions Microsoft et services associés ».
En 2024, on voit que la leçon a été entendue : l’appel d’offres, et l’ensemble des documents de la consultation associée, évoquent systématiquement des solutions Microsoft « ou équivalent ». L’intitulé des différents lots, basé sur les programmes commerciaux de Microsoft, ainsi que les scénarios prévisionnels qui accompagnent la consultation, ne mentionnent cependant jamais nommément une possible alternative.
Quid de l’ambition d’État ?
Si ce marché public recouvre une partie d’usages administratifs, sa nouvelle édition souligne un décalage entre la politique d’achats conduite rue de Grenelle et l’ambition affichée depuis plusieurs années par l’État.
« En matière d’outils et de ressources pédagogiques, les enseignants doivent pouvoir à la fois s’appuyer sur des outils souverains, sécurisés, libres et communautaires, c’est-à-dire des "communs numériques", leur permettant de co-construire et partager entre pairs leurs productions », souligne par exemple la feuille de route 2023 - 2027 consacrée au numérique dans l’éducation.
Cette double articulation, souverain et libre, revient également comme une incitation récurrente au sein de la doctrine technique associée, qui vante la mise à disposition par l’État de services socles et de référentiels et de règles communs à tous les acteurs, de l’administration centrale aux enseignants. (...)
Les logiciels Microsoft évincés au nom du RGPD
Hasard du calendrier, une circulaire du ministère de l’Éducation datée du 28 février dernier enjoint les rectorats et secrétariats généraux d’académie à veiller que cesse toute utilisation d’outils comme Microsoft 365 ou Google Workspace dans les établissements qu’ils supervisent. Si l’argumentaire repose principalement sur le caractère « sensible » des données personnelles liées à des jeunes publics au regard du RGPD, il se conclut par un rappel théoriquement sans équivoque. (...)
« Conformément à la priorité donnée à la protection des données à caractère personnel des élèves et des personnels et à la volonté de la France de privilégier des solutions souveraines, le ministère continue de proscrire tout déploiement de suites collaboratives en ligne d’éditeurs états-uniens ou non-européens dans les écoles et les établissements publics », écrit ainsi le ministère de l’Éducation nationale. (...)
Le renouvellement du marché public visant à équiper l’Éducation nationale est quant à lui – symboliquement à ce stade – déjà reconduit de façon tacite pour 2028