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La « bataille pour Matignon » : comment les médias ont fait oublier l’élection
#electionslegislatives #Matignon #medias #democratie
Article mis en ligne le 17 octobre 2024

Dès le lendemain du second tour des élections législatives, les chaînes de télévision et les stations de radios se sont focalisées sur un nouveau feuilleton : la « bataille pour Matignon ». Durant tout l’été, les médias ont rivalisé d’originalité, à coup de noms martelés à l’oreille des (télé)spectateurs/électeurs. Au moins 21 Premiers ministres potentiels et 410 heures d’antennes plus tard, qui se souvient encore des résultats de l’élection ?

Plusieurs semaines après la prise de poste de Michel Barnier comme Premier ministre, nous souhaitons revenir sur le processus médiatique qui a accompagné sa nomination (et sa légitimation). L’analyse s’appuie sur les données compilées par l’INA entre le 8 juillet et le 5 septembre sur 8 chaînes de télévision et 8 stations de radio [1]. On y a observé la façon dont la question du casting – quel nom pour Matignon ? – a pris le pas sur celle, plus importante (et sans doute dérangeante), de la politique à mener après un scrutin où la coalition de gauche est arrivée en tête.

La mainmise du commentaire (...)

Si les chroniques ou les éditos politiques ne représentent à proprement parler qu’1 % du temps d’antenne consacré au sujet, l’éditorialisme se diffuse dans presque toutes les émissions et tranches horaires. La mainmise des commentaires transcende donc les différences entre chaînes ou stations. Au-delà des intérêts économiques et politiques de leurs propriétaires, elle met en évidence le poids de certaines routines journalistiques et une idéologie professionnelle dont les biais sont multiples.

Parmi ces pratiques, l’éternelle théâtralisation de la vie politique. Durant ces 60 jours, la nomination du Premier ministre est en effet présentée tour à tour comme une « bataille » (citée 49 fois dans les notices, dont 15 en titres de contenu) ou comme une « guerre » (109 fois) (...)

- « Une guerre pour Matignon » (BFM-TV, 17/07) ;

- « Une guerre des gauches » (France 2, 15/07) ;

- « Une guerre des chefs » (LCI, 21/08) ;

- « Une guerre ouverte » (LCI, 12/07 ; RTL, 17/07) ;

- « Une guerre d’usure » (LCI, 24/07).

À mesure que les jours puis les semaines s’égrènent, la plupart des médias étudiés s’épuisent à parler d’une « course contre la montre » ou d’un « compte à rebours » (LCI, 6/08) auxquels, à force, ils croient de moins à moins [3]. (...)

Mais le spectacle ne s’arrête pas pour autant. Emmanuel Macron repoussant toujours plus les échéances et le moment de l’annonce, les rédactions épousent le tempo en entretenant un « suspense » que seule une énumération de noms pouvait mettre en scène. Alors, le jeu est « relancé » à plusieurs reprises (...)

Quand une élection en cache une autre...

La rhétorique sportive et guerrière utilisée – exaltant le petit jeu des politiques plutôt que les grands enjeux politiques, etc. – n’est pas qu’un invariant journalistique destiné à mettre le téléspectateur/auditeur dans un système d’attentes réducteur faisant mine de toujours donner la « priorité au direct ».

La focale sur l’identité du futur Premier ministre a surtout complètement relégué au second plan les résultats du second tour des élections législatives et leurs conséquences. Les noms ont pris le pas sur le fond.

Qui se souvient encore de RTL évoquant le « succès de la gauche » (8/07), de France Info décrivant une « victoire surprise » (9/07) ou encore de LCI se demandant si Emmanuel Macron commet une faute en n’appelant pas un membre du Nouveau Front populaire (9/07) ? Le 12 juillet, l’émission « 28 minutes » sur Arte questionne : « Macron ignore-t-il le résultat de l’élection ? »

De fait, ce cadrage fut très vite évacué de l’antenne au profit d’un autre : la responsabilité des partis du NFP, devenus rapidement coupables de ne pas se mettre d’accord sur « un nom » – « La gauche dans l’impasse » lance BFM-TV dès le 13 juillet –, puis, des semaines plus tard, de ne pas dérouler le tapis rouge à Bernard Cazeneuve, figure de la vraie fausse gauche : « Comment le Parti socialiste a tué Bernard Cazeneuve » se lamente par exemple France Inter le 2 septembre.

Dès le 17 juillet – soit 10 jours après le scrutin qui donna pourtant lieu à une nouvelle campagne culpabilisatrice pour « bien » faire voter l’électeur et « sauver la République » –, on n’évoquait déjà plus l’élection, sauf pour l’assimiler à une « énigme » (Radio Classique, « La matinale », 14/08). Et, l’électeur, lui, était cantonné au rôle de (télé)spectateur d’un cirque médiatique qui le dépossédait encore de sa voix puisqu’on n’en parlait plus. (...)

Les médias, en créant un effet de consensus, même tardif, finissent toujours par contribuer au maintien de l’ordre électoral et donc social. Ainsi Les Républicains, auréolés de 5,4 % des suffrages exprimés (et 3,4 % des inscrits) mais adoubés par le parti macroniste et l’extrême droite, peuvent placer un Premier ministre issu de leurs rangs sans que les rédactions ne s’en émeuvent davantage. Même les mal-élus, une fois légitimés, finissent par être « représentatifs ».