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Mediapart
La fin brutale d’une école de commerce privée à Poitiers
#enseignementsuperieurprive
Article mis en ligne le 21 avril 2025

(...) Après les Sables-d’Olonne (Vendée), deux établissements ont vu le jour en 2023 : Perpignan (Pyrénées-Orientales) et Poitiers. Lesquels ont brutalement fermé durant l’année universitaire 2024-2025. Une nouvelle illustration de la légèreté d’un marché en pleine expansion, celui de l’enseignement supérieur privé. Toujours aussi peu régulé malgré l’accumulation de scandales.

Une ouverture chaotique

Loin du campus de l’université, sur les bancs de laquelle s’entassent 22 000 étudiant·es, l’IES Poitiers occupe deux étages d’un immeuble moderne du centre historique. Il y partage ses baies vitrées avec BPI France et la région Nouvelle-Aquitaine. Loyer estimé : 10 000 euros mensuels. Un budget conséquent auquel s’ajoutent les dotations des vacataires : de 40 à 65 euros de l’heure, soit 20 euros de plus que son principal concurrent, l’ISME (Institut supérieur de management des entreprises). Les locaux séduisent les étudiant·es, les salaires attirent les profs, « c’est la stratégie de l’IES », confie une source en interne.

Recrutée trois semaines avant la rentrée 2023, la responsable pédagogique ouvre pourtant son poste de travail sur un emploi du temps aux trois quarts vide. Débauchée chez Talis – une autre business school du cru –, elle le remplit vaille que vaille grâce à son carnet d’adresses et à son généreux budget de vacation. Tout le monde baigne dans cette ambiance « à la démerde-toi », pour reprendre l’expression d’une ex-salariée. Pendant plus de deux mois, les enseignant·es donnent cours sans ordinateur ni vidéoprojecteur, à la merci d’une connexion internet capricieuse.

« J’ai dû consulter la plaquette de présentation du programme pour connaître le cadre pédagogique », ironise encore une ancienne vacataire. Les enseignant·es pardonnent ces errances qu’ils mettent sur le compte de « débuts difficiles », tandis que les élèves pointent avec enthousiasme, vantant unanimement un casting de « super profs ».

Cette absence de suivi se révèle plus problématique quant au financement des études. Presque tous en alternance, les étudiant·es voient leurs frais de scolarité pris en charge par l’entreprise où elle est réalisée via les opérateurs de compétences pour la formation professionnelle (Opco). (...)

Pour tout accompagnement, les inscrit·es de l’IES Poitiers reçoivent « dix heures de formation à l’écriture de CV et c’est tout » avant d’être lâché·es en rase campagne poitevine pour trouver un contrat. Une partie importante des promos ne trouve pas à signer et se voit dirigée par l’administration vers des stages, voire des services civiques – notamment au siège voisin de l’agglomération Grand Poitiers.

Conséquence immédiate : les frais de ces coûteuses études – 6 700 à 10 000 euros l’année – retombent sur le portefeuille des parents. Soucieuse d’éviter les vagues de départ, la direction concède à certain·es des « ristournes » : une étudiante a ainsi obtenu de ramener à 3 000 euros son année de cours.

Conserver la cohorte est précieux, car le recrutement n’a pas été à la hauteur des espérances : passé l’argument d’une « école à taille humaine » avec des classes ouvertes dès quatre étudiant·es, l’IES Poitiers ne compte à sa première rentrée que quarante inscrit·es alors qu’elle annonçait un objectif de quatre-vingts. (...)

À la rentrée 2024, les étudiant·es constatent une brutale dégradation des conditions d’enseignement : les premières semaines se font presque intégralement en visioconférence pour assister aux classes données au campus des Sables-d’Olonne. (...)

Toujours à la rentrée 2024, le campus de Perpignan ferme ses portes. (...)

Inquiétude sur la validité des diplômes

Le 5 mars 2025, l’annonce de la fermeture du site poitevin provoque l’incompréhension et la colère chez les élèves, comme chez leurs parents. Malgré la proposition de poursuivre le cursus en Vendée « sans aucun frais de scolarité » ou dans un autre établissement de Poitiers (l’ISME), le doute plane sur la validité des diplômes et la tenue des examens. (...)

Signalement au procureur

Traité en satellite, le statut même de l’établissement poitevin pose question. Déclaré au greffe de Poitiers comme entreprise de « travaux d’installation électrique dans tous locaux », l’IES Nouvelle-Aquitaine a déposé auprès du rectorat deux dossiers de déclaration d’ouverture.

« Des éléments complémentaires ont été demandés à l’établissement dans le cadre de l’instruction de ce dossier par les services régionaux qui demeurent sans réponse à cette date, a indiqué à Mediapart le rectorat de Bordeaux. L’établissement n’est donc, à ce stade, pas régulièrement déclaré ouvert auprès de la région académique. »

En l’absence de cet enregistrement obligatoire pour les établissements d’enseignement privé au titre des articles L731-1 et suivant le Code de l’éducation, l’autorité administrative chargée de contrôler l’enseignement supérieur pour l’académie de Poitiers nous a indiqué avoir déposé un signalement au procureur de la République.