
Échec de la contre-offensive ukrainienne, mais impossibilité pour la Russie de renverser le rapport de forces. Le pessimisme s’installe parmi les alliés de Kiev qui s’interrogent sur la stratégie à adopter.
Les expectatives des alliés occidentaux de l’Ukraine étaient énormes concernant « la contre-offensive du printemps », du moins c’est ce qu’ils déclaraient publiquement. Les succès de l’armée ukrainienne à Kharkiv et à Kherson laissaient en effet espérer qu’elle obtienne des avancées sur le terrain face aux forces russes. Mais aujourd’hui, plusieurs mois après le lancement de l’opération tant annoncée, presque tout le monde s’accorde pour signaler que celle-ci, malgré quelques succès ponctuels, se solde par un échec. Dans ce contexte, des doutes et un certain pessimisme se sont installés parmi les soutiens de l’Ukraine qui semblent aujourd’hui commencer à réfléchir à une stratégie de fin de conflit. (...)
Dans un article pour Politico du 27 décembre dernier Michael Hirsch défend à ce sujet que « les Ukrainiens eux-mêmes, les responsables américains et européens discutent actuellement du redéploiement des forces de Kiev, loin de la contre-offensive du président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a échoué pour l’essentiel, en une position défensive plus forte contre les forces russes à l’est », et plus loin cite un porte-paroles de la Maison Blanche selon lequel « la seule façon de mettre fin à cette guerre est de négocier (…) Nous voulons que l’Ukraine ait la main la plus forte possible à ce moment-là ».
Autrement dit, il est très probable que les dirigeants impérialistes soient en train de faire pression sur Zelensky pour qu’il accepte de céder du territoire à la Russie afin de mettre fin à la guerre, sans doute en promettant de tout faire pour ensuite regagner une partie de ce territoire au travers de négociations.
Pour contrecarrer cette perception pessimiste de la situation de la guerre, certains analystes, tout en reconnaissant les faiblesses de la contre-offensive, mettent en avant quelques rares succès tactiques mais importants obtenus par l’armée ukrainienne notamment en Crimée face à la flotte russe (...)
Les pressions de la politique interne aux Etats-Unis et dans l’UE
Même si Zelensky et son gouvernement tentent de convaincre les dirigeants impérialistes de continuer à financer et armer l’Ukraine « jusqu’à la victoire », la situation sur le terrain pèse sur les perceptions des capitales occidentales. (...)
Pour Joe Biden en effet la guerre en Ukraine peut devenir un élément important dans la campagne électorale de cette année. Si les difficultés sur le terrain se poursuivent et que l’armée ukrainienne est incapable d’obtenir des victoires décisives, il sera très difficile pour l’administration Biden de faire valoir un leadership à la hauteur d’un tel conflit. Les Républicains l’ont compris et ont commencé à utiliser le soutien à l’Ukraine comme une arme politique et récemment ont bloqué un nouveau paquet d’aide pour Kiev de 60 milliards de dollars.
Les perspectives économiques d’une croissance faible et d’une inflation toujours plus forte, alimentent ce sentiment de « fatigue » au sein de la population étatsunienne qui commence à demander des comptes et des résultats après les milliards de dollars d’aides octroyés à l’Ukraine. Si cela n’était pas assez, la guerre d’Israël à Gaza, qui risque à tout moment de devenir un conflit régional, vient s’ajouter à une situation très délicate pour l’impérialisme nord-américain : Washington a dû débloquer une aide de 14 milliards de dollars pour assister Tel Aviv dans son massacre du peuple palestinien.
L’UE commence également à être sous pression politique concernant son aide à l’Ukraine. (...)
il y a un risque que l’extrême-droite en sorte renforcée et que cela donne plus de poids à ces partis politiques au sein de chaque pays. Les responsables politiques européens du « centre » craignent que cela ait des conséquences négatives pour le soutien européen à l’Ukraine. En effet, le Washington Post vient de publier une enquête sur les liens entre le RN de Marine Le Pen et la Russie ; le premier ministre hongrois, Viktor Orban, est en train de bloquer une aide de 50 milliards d’euros pour Kiev. L’extrême-droite vient également de remporter les élections aux Pays-Bas, sans oublier que l’année dernière Robert Fico est revenu au pouvoir en Slovaquie, un politicien d’extrême-droite avec de bonnes relations avec le Kremlin.
La fatigue vis-à-vis de la guerre, le mécontentement vis-à-vis des difficultés et le renforcement des alternatives politiques « eurosceptiques » ont toujours fait partie de l’équation de Vladimir Poutine pour affaiblir le soutien à l’Ukraine quand il a décidé de lancer sa guerre en février 2022.
Ukraine : dépendance et fissures internes (...)
Loin des discours sur « la lutte pour l’indépendance », la politique bourgeoise et pro-impérialiste de Zelensky consiste à changer un maître pour un autre : hier c’était la Russie (avec plusieurs contradictions et nuances), aujourd’hui c’est l’OTAN. C’est pour cela qu’il est si important pour le gouvernement ukrainien de convaincre ses alliés occidentaux de maintenir leur assistance financière et militaire à l’Ukraine. Etant donné l’importance que l’Ukraine a pris pour l’OTAN il est difficile d’imaginer, dans les conditions actuelles, que les puissances impérialistes abandonnent totalement Kiev, mais il est de plus en plus clair pour tout le monde que sans ce soutien l’Ukraine ne pourrait tenir face à l’agression de Poutine.
Cela a des conséquences pour les intérêts stratégiques des travailleurs et des classes populaires ukrainiens. Zelensky a non seulement lié la défense militaire du pays aux intérêts de l’OTAN mais il a vendu l’indépendance nationale de l’Ukraine aux impérialistes, sans que cela assure l’intégrité territoriale du pays. Ainsi, l’Ukraine d’après-guerre ressemblera sans doute plus à un protectorat occidental qu’à un Etat indépendant. Mais cela a également des conséquences sur l’indépendance nationale en matière de politique étrangère. La politique totalement suiviste de Zelensky à l’égard des Etats-Unis soutenant la guerre criminelle d’Israël contre les Palestiniens à Gaza en est une preuve. Zelensky est allé jusqu’au ridicule de comparer le Hamas à l’agression de Poutine dans sa frénésie prosioniste.
Mais cette situation expose également les fissures internes en Ukraine. (...)
A cela il faut ajouter les campagnes anticorruptions contre les oligarques que le gouvernement de Zelensky est en train de mener sous pression des Occidentaux, ce qui renforce les contradictions internes. Il reste à voir si ces frictions et brèches au sein de la bourgeoisie nationale auront des conséquences pour la stabilité politique dans l’Ukraine post-guerre, voire avant. (...)
Pour certains, Poutine se trouve dans la position la plus favorable depuis le début de la guerre. (...)
Cependant, même si la situation semble plus favorable à Poutine aujourd’hui, cela ne veut pas dire qu’elle ne pourrait pas se retourner et commencer à nouveau à favoriser la position de Kiev. Autrement dit, la guerre n’est pas du tout résolue dans un sens ou dans l’autre. Elle se trouve plutôt dans une situation où les forces des uns annulent les forces des autres. Et cette situation paraît difficilement altérable dans le court-terme. Du moins d’un point de vue militaire. (...)
Aujourd’hui une négociation pour mettre fin à la guerre pourrait apparaître comme une victoire pour Poutine et comporter des risques importants pour Zelensky et l’OTAN. En interne Zelensky pourrait apparaître comme celui qui a cédé du territoire national à l’envahisseur russe et attiser des tendances oppositionnelles au sein de la société voire de l’armée. Pour l’OTAN ce ne serait pas très bon non plus, notamment si elle apparaît comme forçant l’Ukraine à négocier et à céder. C’est pour cela que les dirigeants impérialistes tentent de présenter les résultats de la guerre comme une victoire partielle de l’Ukraine. Et en effet cela pourrait être présenté comme cela si l’on prend en compte le fait que l’armée ukrainienne a, jusqu’à présent, évité que la Russie occupe tout le territoire ou une grande partie de celui-ci.
Pour la Russie une résolution de la guerre où elle s’assure le contrôle d’une partie du territoire ukrainien serait probablement présenté comme une forme de victoire. Mais il ne faut pas oublier que l’objectif principal de Poutine était de remplacer les autorités ukrainiennes pour des dirigeants favorables à Moscou, briser la dynamique de rapprochement entre Kiev et l’OTAN et l’UE. Moscou n’a obtenu aucun de ces buts et au contraire a accéléré le rapprochement entre l’Ukraine et les puissances occidentales. Du point de vue des intérêts stratégiques de la Russie s’assurer le contrôle de 20% du territoire ukrainien limiterait l’échec mais remplirait difficilement ses objectifs en termes de sécurité et de limitation du renforcement de l’OTAN à sa frontière. (...)
des facteurs politiques internes ou externes pourraient modifier la situation et la faire pencher d’un côté ou d’un autre. Aujourd’hui les pressions politiques et sociales qui commencent à surgir au sein des Etats impérialistes soutiens de l’Ukraine pourraient être décisives pour avancer vers une possible fin du conflit. Mais cela est loin d’être sûr et, plus important, cela ne signifierait pas forcément un développement progressiste. Au contraire, une paix pactisée entre le régime réactionnaire de Poutine et les puissances impérialistes tutélaires de l’Ukraine pourrait conduire à une militarisation permanente de toute la région, à une course à l’armement et à de futures guerres. Comme nous le disons depuis le début de la guerre, nous parions sur l’intervention indépendante de la classe ouvrière pour mettre véritablement fin à la guerre et pour trouver une solution pérenne à l’auto-détermination de l’Ukraine et de tous les peuples qui y vivent. Cela, de notre point de vue, ne peut avoir lieu que sous un gouvernement de travailleurs indépendant de toute puissance impérialiste, de la Russie et des oligarques ukrainiens, mais en profonde alliance avec le prolétariat russe. (...)