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La vie des idées
La pseudo-science qui exonérait les violences policières
#violencespolicieres #USA #racisme
Article mis en ligne le 16 avril 2025
dernière modification le 11 avril 2025

Le « délirium agité » est un diagnostic fabriqué de toutes pièces pour absoudre les officiers de police du meurtre d’hommes noirs et latinos placés sous leur responsabilité. Tout un réseau de médecins légistes, de forces de l’ordre et d’entreprises privées ont soutenu cette pseudo-science.

Excited Delirium raconte l’histoire du « syndrome du délirium agité », un diagnostic utilisé par les médecins légistes aux États-Unis comme prétexte médical pour exonérer les policiers ayant fait un usage excessif de la force contre des hommes « noirs » et « latinos ». Nourri de présupposés racistes, le syndrome repose sur l’affirmation que les hommes noirs ont une prédisposition génétique à développer une réaction excessive à la cocaïne, même lorsqu’ils en consomment de petites quantités, ce qui les conduit à développer une force surhumaine avant de mourir spontanément lors d’interventions policières.

dans plusieurs cas de décès inexpliqués aux mains des forces de l’ordre, les médecins légistes attribuaient la cause du décès à ce syndrome peu connu. À l’aide d’archives et d’entretiens, l’anthropologue retrace la construction et l’utilisation de ce syndrome en reconstruisant le réseau d’experts médicaux, de chercheurs, d’officiers de police, d’avocats et d’entreprises privées qui ont élaboré et légitimé ce diagnostic, ainsi que l’histoire des familles qui se sont vues privées de justice après avoir perdu un proche aux mains de la police.
Les origines d’un diagnostic raciste

Le livre est centré autour de Charles Wetli, le médecin légiste qui a inventé le terme « syndrome du délirium agité » dans les années 1980. (...)

Il s’était fait un nom en devenant ce que l’on appelle un « expert en cultes », publiant des travaux de recherche et organisant des formations à l’intention des forces de l’ordre sur les religions afro-caribéennes. Il a défendu l’idée que les tatouages des immigrés noirs et latinos pouvaient aider à déchiffrer le type de criminalité dans lequel ils étaient impliqués. Ses travaux ont contribué à la criminalisation de ces religions lors de la « panique satanique » des années 1980, période où des adeptes des religions afro-caribéennes ont été inculpés pour de prétendus abus rituels sataniques sur des enfants.

Le légiste a théorisé pour la première fois le lien entre la peau noire et la mort induite par la cocaïne lorsqu’il a travaillé sur les cas d’une douzaine de femmes noires retrouvées mortes à Miami entre 1986 et 1988. Rejetant les premiers soupçons d’homicide de la police, Wetli a déclaré que ces cas étaient des « morts subites dues à de faibles doses de cocaïne qui rendent les victimes folles et les font mourir en l’espace de quelques minutes » (...)

Alors même que ses thèses liant cocaïne, sexe et mort chez les femmes noires étaient démenties, Wetli a continué à développer sa théorie du délirium agité, en se concentrant sur les cas d’hommes noirs décédés par suite du recours de policiers à l’étranglement, aux techniques d’immobilisation ou à des chocs électriques. (...)

L’anthropologue dévoile un réseau plus large de professionnels qui ont bâti leur carrière sur les présupposés racistes qui sous-tendent le délirium agité. Le faux diagnostic n’a pas seulement soutenu la carrière de Wetli en tant que médecin légiste, formateur et témoin expert. Il a également permis à des policiers d’échapper à la justice après un usage excessif de la force contre des hommes noirs non-armés, ainsi qu’à des auxiliaires médicaux qui ont administré de la kétamine à des personnes que la police prétendait incontrôlables, en doses parfois mortelles.

Le délirium agité est également devenu un bouc émissaire commode pour les fabricants d’armes dites « non létales ». (...)

Lorsqu’un décès survenait à la suite de l’utilisation du Taser par la police, l’entreprise faisait appel à des médecins légistes comme Wetli, dont elle savait qu’ils rédigeraient des rapports favorables. Cette stratégie s’est avérée payante (...)

George Floyd et le démenti du délirium

Ce n’est qu’à la suite du meurtre de George Floyd en 2020, que ce syndrome inventé a été mis en lumière, après que les avocats de son meurtrier, Derek Chauvin, eurent soutenu que la victime avait développé un délirium agité lors de son arrestation. De nombreuses organisations se sont alors penchées sur ce syndrome et l’ont dénoncé pour ce qu’il est : une couverture médicale fournie aux abus policiers. En 2023, le diagnostic a été désavoué par toutes les associations médicales, et certains États américains ont interdit son utilisation comme cause de décès.

Néanmoins, les policiers continuent d’être acquittés après avoir fait usage d’une force excessive contre des hommes noirs non-armés, sur la base de l’éternel récit selon lequel la peur des officiers blancs face aux jeunes Noirs justifie le recours à la force létale. (...)

Les récits médicaux racialisés et leurs échos dans le monde (...)

En France comme aux États-Unis, les médecins légistes s’appuient sur les récits de la police décrivant des hommes noirs non armés comme très agités ou développant une « force surhumaine » pour justifier l’usage excessif de la force par les policiers. (...)

Excited Delirium fait partie d’un champ de recherche en plein essor aux États-Unis, qui analyse comment le savoir médical peut contribuer à la pathologisation et à la criminalisation des corps racialisés (...)

Les recherches futures pourraient se pencher sur les circulations internationales de cette science et sur le rôle des organisations internationales dans la légitimation et la diffusion du laboratoire racial.