
(...) Les relations franco-algériennes sont en crise depuis 2020 lorsque la France, comme les Etats-Unis à la même époque, s’alignait sur l’affirmation par le Maroc de sa souveraineté sur le Sahara occidental. L’un des éléments expliquant cette reconnaissance était le rôle joué par le Maroc dans la normalisation des relations avec Israël à l’échelle de l’Union africaine (où Israël avait brièvement obtenu un fauteuil d’observateur, combattu ensuite par l’Afrique du Sud et Algérie avec succès)1 et à l’échelle du monde arabe où le Maroc a rejoint les accords d’Abraham de 20202. D’autres facteurs de politique française contribuent sans doute à cette reconnaissance, mais depuis cette date, le modèle prééxistant des relations bilatérales ne semble plus opérant, avec des tensions plus violentes et des réactions plus imprévisibles des deux parties. Côté français, la virulence des propos et des postures va-t-en-guerre ne sont pas en phase avec l’évolution récente de la société française ; mais en retour, leur effet sur les habitants de ce pays peut être dévastateur.
Les textes de cette série l’ont montré : tout un travail se fait lentement et patiemment dans la société française et l’arrivée de générations nouvelles contribue à une articulation plus sereine des parcours individuels et collectifs, jusqu’à ce que de nouvelles déclarations tonitruantes ne viennent tout emporter. (...)
(...) Dans les salles de classes, les enfants n’ont pas de mal à comprendre à la fois la souffrance que les pieds-noirs ont pu ressentir lorsque leur monde de l’Algérie française a pris fin, et que la fin d’une colonisation longue, violente et profonde ait été vécue par le peuple algérien comme la libération d’une longue oppression. Ils saisissent aussi que partout dans le monde, et particulièrement en Afrique, en Asie et en Amérique latine, cette victoire a provoqué une profonde joie partagée ; qu’elle a aussi été ressentie au cœur même des anciennes puissances coloniales par ceux et celles qui pensaient qu’il fallait en finir avec la colonisation. Les Retailleau qui nous gouvernent et ceux, plus à droite encore, qui aspirent à le faire, sont donc à contretemps de leur propre société lorsqu’ils s’engagent dans une revanche vieille de six décennies contre les décolonisations et les indépendances. Mais ce faisant, ils nourrissent et font grandir ce qui reste dans la société de la violence et du racisme qui avaient été nécessaires pour maintenir l’empire ; la violence et le racisme leur sont aujourd’hui nécessaires pour se maintenir. Leur violence et leur racisme nous tuent.
Rappelons ce qu’a représenté l’Algérie aux temps de l’Empire : d’une part une colonisation plus longue que les autres colonisations des 19e et des 20e siècles ; de l’autre une colonisation de peuplement dont la population européenne représentait, au moment de l’indépendance, 10% du total. Ces deux caractéristiques semblaient la rendre éternelle. Rappelons aussi que l’aspiration génocidaire à se débarrasser de la population autochtone est une constante des situations de colonisation de peuplement, puisque les colons veulent accaparer leurs terres et prendre leur place dans le pays. Elle trouve toujours des façons de se réaliser par la réduction de la population colonisée (concentration dans des camps ou limitation à un statut juridique aux droits diminués), par le déplacement forcé et par le massacre ; souvent par tout cela à la fois. La résistance face à la dépossession de la terre, de l’identité et de la mémoire de soi comme peuple aussi en est une constante, qui se manifeste dans des formes très variées, parfois les plus désespérées ou les plus violentes. L’indépendance de l’Algérie fut pleinement une décolonisation, qui supprima les statuts juridiques inégaux et conduit à une redistribution de la terre. Elle ouvrait donc des espoirs pour les autres peuples colonisés (...)
Pour Algériens et Palestiniens, depuis 1962, la lecture en miroir de leurs deux situations coloniales fait souvent décrire « la Palestine comme le passé de l’Algérie et l’Algérie comme l’avenir de la Palestine ».
Et on comprend mieux pourquoi cette indépendance, décidément, ne passe pas.