
Le journaliste congolais Stanis Bujakera est en prison depuis plus de deux mois, accusé d’avoir fabriqué et diffusé une fausse note d’un service de renseignement. Notre enquête révèle que les éléments de preuve du parquet sont totalement fantaisistes.
Correspondant du magazine Jeune Afrique et de l’agence de presse Reuters, il est directeur de la publication adjoint d’Actualite.cd, principal média indépendant du pays et partenaire congolais de l’enquête « Congo hold-up », menée par Mediapart et ses partenaires du réseau European Investigative Collaborations (EIC). Son arrestation et son maintien en détention depuis plus de deux mois ont provoqué une vague d’indignation sans précédent dans le pays comme sur le continent africain. (...)
Le parquet congolais accuse Stanis Bujakera d’avoir fabriqué un faux document de l’Agence nationale de renseignements (ANR), un service secret placé directement sous le contrôle du président Félix Tshisekedi, et de l’avoir diffusé dans des groupes de discussion WhatsApp.
Analyse de métadonnées
Cette note de deux pages, révélée le 31 août par Jeune Afrique, décrit comment les renseignements militaires auraient tué, dans la nuit du 12 au 13 juillet 2023, Chérubin Okende, ancien ministre passé à l’opposition et porte-parole du parti de Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga et rival de Félix Tshisekedi, candidat à sa réélection. Cette version de l’assassinat est démentie par les autorités de la RDC.
Stanis Bujakera n’a pas signé l’article. Mais quelques jours plus tard, il est contacté par des agents des renseignements militaires qui insistent pour lui parler. Il accepte. « Ils veulent savoir qui a écrit et qui est la source. Je leur ai dit de voir avec [la rédaction à] Paris, je n’ai pas géré ce dossier », raconte le journaliste congolais dans un SMS à l’un de ses collègues de Jeune Afrique.
Stanis Bujakera dément être l’auteur de l’article, mais qu’importe. Le 7 septembre, un avis de recherche est lancé. Le journaliste est déclaré « en fuite ». La police de Kinshasa, qui n’a eu aucun mal à le trouver, l’arrête le lendemain et saisit ses téléphones. (...)
La justice lui reproche non pas l’article de Jeune Afrique, mais d’avoir fabriqué et diffusé sur WhatsApp la note de l’ANR, dont le pouvoir congolais affirme qu’elle est fausse.
L’accusation de faux est contredite par une enquête de Reporters sans Frontières (RSF). « Ce document est parfaitement authentique, au sens où il vient bien de l’ANR, l’Agence nationale de renseignements congolaise. Il n’y a absolument aucun doute là-dessus : plusieurs sources nous l’ont confirmé, y compris des sources internes à l’ANR », a déclaré à RFI Arnaud Froger, responsable du bureau investigations de RSF.
Au sujet de la diffusion, « ça ne peut pas être Stanis Bujakera, […] parce qu’il n’est même pas le premier à avoir reçu le document », a-t-il ajouté. (...)
« Le parquet a misé sur la paresse des avocats à chercher à comprendre. Ils pensaient que nous prendrions ça comme des éléments non discutables, indique Me Jean-Marie Kabengela, l’un des conseils du journaliste congolais. Le parquet a été mis en difficulté parce qu’on l’a attaqué sur ce terrain. Il pensait pouvoir le condamner rapidement. » (...)
Le collectif de défense du journaliste a multiplié les demandes de contre-expertise par un expert indépendant et qualifié. Le tribunal a accepté le 17 novembre dernier, mais il a nommé un « expert agréé » totalement inconnu, qui n’a aucune occurrence sur Google. Ce choix devrait faire débat lors de la prochaine audience prévue le 1er décembre.
« On essaie de faire croire que c’est un procès avec une base juridique, alors qu’il n’y a aucun élément dans le dossier qui justifie son inculpation et son maintien en détention », diagnostique Arnaud Froger, de Reporters sans frontières. (...)
Stanis Bujakera est depuis longtemps dans le collimateur du pouvoir congolais. En mars 2023, Gilbert Kabanda, alors ministre de la défense, avait porté plainte contre le journaliste pour avoir relaté son intervention en conseil des ministres, alors qu’il s’agissait de citations issues du compte rendu officiel. Il a fallu plusieurs jours au gouvernement pour annoncer le retrait de cette plainte ubuesque.
Face à la campagne pour la libération de Stanis Bujakera, menée en RDC comme à l’étranger, le président Félix Tshisekedi est embarrassé. (...)