Repenser ensemble la production et la consommation alimentaire ouvre des pistes très prometteuses pour la santé humaine et la protection des écosystèmes. Mais le lobby de la viande part en guerre contre une nouvelle étude scientifique.
C’est une rare bonne nouvelle au sujet de la santé et de l’écologie. Mieux nourrir les humains pour leur offrir une meilleure santé tout en préservant celle de la planète est possible. Mais à condition de faire évoluer nos habitudes alimentaires, réduire les pertes et les gaspillages et modifier les pratiques agricoles.
Voici bientôt dix ans que plusieurs dizaines de chercheurs internationaux, issus de diverses disciplines (nutrition, épidémiologie, climat, agriculture, science politique, économie…) et réunis au sein de l’organisation à but non lucratif EAT, épluchent la littérature scientifique et modélisent différents scénarios.
Leur second rapport, publié vendredi 3 octobre dans la revue scientifique The Lancet, montre qu’en transformant à la fois la production et la consommation, il est possible de concilier santé, environnement et justice sociale.
Ce pavé de 75 pages dresse tout d’abord un implacable constat : notre alimentation actuelle nuit à notre santé et participe activement à la destruction de la planète. Alors que nous produisons suffisamment de calories pour répondre aux besoins de la population mondiale, leur distribution est clairement inéquitable et inadéquate, avec une « surconsommation malsaine » par endroits, tandis que près d’un milliard de personnes souffrent encore de sous-alimentation.
Impacts massifs sur la santé (...)
Quant aux impacts sur la santé de la planète, ils sont, là aussi, massifs. Pas moins de 30 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) proviendraient actuellement de nos systèmes alimentaires. (...)
D’où l’urgente nécessité de transformer nos systèmes alimentaires pour garantir « un avenir sûr, juste et durable pour tous ». Une transformation qui s’appuie donc sur trois piliers : une réduction de 50 % du gaspillage et des pertes (actuellement, environ 775 kilocalories (kcal) par personne et par jour sont perdues, ce qui représente 20 % des terres agricoles utilisées) ; l’« intensification écologique et durable » des pratiques agricoles (avec l’objectif de diminuer de 70 % l’usage des pesticides) ; et surtout, une modification de nos habitudes alimentaires.
« C’est tout l’intérêt de leur rapport : penser ensemble la production et la consommation, analyse Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation et coprésident du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food). (...)
Moins de viande et moins de sucre
Au vu du « régime de santé planétaire » (« planetary health diet » en anglais) proposé par la commission EAT, la réponse à cette question est claire : c’est non. Le sucre est optionnel et ne devrait pas dépasser 30 grammes par jour et par personne. Cette « assiette idéale », conçue pour notre santé individuelle, s’appuie sur une abondante littérature scientifique. L’apport journalier préconisé est de 2 400 kilocalories par personne, soit environ 1 000 kilocalories de moins que la moyenne actuelle en France.
Ce régime se compose majoritairement de végétaux, en particulier de légumes (y compris les plantes aquatiques), de céréales complètes (riz, blé, maïs, avoine, millet…), de fruits ou de baies. Tout comme le sucre, les aliments d’origine animale sont optionnels et ne devraient pas dépasser deux portions par jour : une de produits laitiers (20 centilitres de lait ou équivalents) et une de produits non laitiers (poisson, viande ou œufs). Des adaptations spécifiques pour les enfants et les femmes en âge reproductif sont proposées afin d’éviter d’éventuelles carences en fer ou en vitamine B12.
« Nous n’imposons pas un régime unique pour tous, il y a vraiment de la place pour une diversité d’alimentation », insiste Walter Willett, coprésident de la commission et professeur d’épidémiologie et de nutrition à Harvard. (...)
Conséquence : la filière de la viande est vent debout contre cette « mafia anti-viande », comme la surnomment certains. Déjà, lors de la première publication EAT en 2019, une campagne de dénigrement avait déferlé sur les réseaux sociaux notamment. Une enquête, menée par l’ONG Changing Markets Foundation, vient d’ailleurs d’en révéler les principaux acteurs : des universitaires, des journalistes, des influenceurs et des institutions, qui agissent de manière orchestrée pour distiller le doute sur des faits scientifiques, diffuser de fausses informations et mener des attaques personnelles à l’égard des scientifiques de la commission.
L’ONG s’est notamment procuré un enregistrement d’une conférence sur le « rôle de la viande » organisée à Denver, aux États-Unis, en octobre 2024 par RedFlag, une agence de relations publiques qui travaille également pour les industriels du tabac. On y entend un consultant expliquer aux participants que « les faits scientifiques ne sont pas aussi importants que “qui vous êtes” » et que « la vérité est un concept relatif ». (...)
Pour la première fois, tous ces acteurs se réunissent actuellement à Stockholm en Suède, y compris certains producteurs de viande, dans l’objectif de transformer ces solutions en actions concrètes.
Si toutes les solutions de la commission venaient à être mises en œuvre, les émissions annuelles de gaz à effet de serre liées à l’alimentation seraient réduites de moitié, tout en « libérant » 7 % des terres actuellement dédiées à l’alimentation pour préserver la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Le tout, pour un coût dix fois moindre que les gains sanitaires et environnementaux attendus, pointe le rapport. Reste maintenant à passer de la modélisation au concret.