
Splann ! publie la totalité des mandats de quatre figures-clefs du syndicat agricole, la FNSEA. Ces dirigeants siègent partout pour défendre la vision productiviste de leur organisation : dans les instances sanitaires, de surveillance de la qualité de l’air, de l’environnement, de gestion de parc naturel, des risques industriels, mais aussi dans des groupes presse agricole ou dans l’événementiel. Une domination qui étouffe la démocratie syndicale.
(...) Pour défendre sa vision de l’agriculture exportatrice et favorable à l’utilisation des pesticides, la FNSEA investit dans la presse et dans l’organisation de grands salons et autres événements agricoles. Thierry Coué a, par exemple, présidé jusqu’à sa vente en 2022 le magazine agricole Terra, distribué gratuitement aux agriculteurs par l’intermédiaire des chambres d’agriculture bretonnes.
Le n° 1 du syndicat, Arnaud Rousseau, préside le conseil d’administration de Sofiprotéol, filiale du géant de l’agroalimentaire Avril. Cette entreprise siège au comité de surveillance du groupe de presse Réussir, éditrice de plus de 50 titres agricoles partout en France comme Réussir Porc, Réussir Lait, l’agence de presse Agra ou encore L’Oise agricole ou Le Paysan tarnais.
Jérôme Despey, le n°2, vient de son côté d’être élu président du Ceneca, la société propriétaire du Salon de l’agriculture, rendez-vous incontournable du mois de février pour tous les présidents de la République. La FNSEA a un pied dans une bonne partie de la presse agricole et des rendez-vous professionnels et grand public du secteur (...)
Une domination visible jusqu’au sommet de l’État. « La FNSEA entre sans frapper au ministère de l’Agriculture, là où nous mettons des mois à obtenir un rendez-vous », ironise Frédéric Jacquemart, de la fédération d’associations France Nature environnement.
Lors du congrès annuel de la FNSEA, en mars dernier, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, a d’ailleurs déclaré : « Je suis celui qui fait avec vous ». Une preuve supplémentaire de la cogestion, si souvent dénoncée, de la politique agricole française entre le ministère et le syndicat majoritaire ?
Un manque de pluralisme syndical
La cartographie de ces quatre figures clefs de la FNSEA détaille l’accumulation de mandats et montre l’omniprésence du syndicat majoritaire, au point que ses concurrents ont bien du mal à faire entendre d’autres visions de l’agriculture française. (...)
« L’emprise de la FNSEA sur le monde agricole s’est construite sur un déni de démocratie », critique Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne. « Sur les dix collèges qui composent la chambre d’agriculture, celui des chefs d’exploitation est le seul à bénéficier d’un mode de scrutin offrant une prime à la majorité. »
Ainsi, le syndicat arrivé en tête obtient d’office la moitié des sièges. (...)
En mars 2023, la fédération du Morbihan, dont le vice-président est Thierry Coué, a réclamé – sans succès – au préfet du département l’exclusion de la Confédération paysanne de toutes les instances où elle siège, en raison de son engagement dans la lutte écologique contre les méga-bassines.
Pour affaiblir ses rivaux, la FNSEA pourrait compter sur un allié, le ministère de l’Agriculture. Il prépare un décret qui assécherait les caisses des autres syndicats en modifiant les conditions de financement. Pour l’instant, 75 % du montant des aides publiques sont attribuées en fonction du nombre de voix obtenues aux élections professionnelles et 25 % en fonction du nombre de sièges obtenus au sein des chambres d’agriculture. Le ministère envisage de modifier cette clef de répartition à 50/50.
Ce n’est plus coup double, mais coup triple pour la FNSEA. Le mode de scrutin actuel favorise la FNSEA en nombre de sièges, malgré un faible nombre de voix obtenu. Cette nouvelle clef de répartition lui permettrait d’augmenter ses dotations publiques, au détriment des autres syndicats. (...)
Une démocratie syndicale qui a déjà été mise à rude épreuve lors des manifestations de janvier dernier. La FNSEA est sortie grande gagnante d’un mouvement qu’elle n’avait pourtant pas initié. Stockages d’eau, pesticides, exonérations fiscales, le gouvernement Attal a accédé à ses principales demandes, parfois au détriment des revendications initiales des manifestants axées sur les prix et une meilleure rémunération. Et il n’est pas certain que la loi d’orientation agricole, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, répondent à ces préoccupations. Une mobilisation massive des agriculteurs lors des élections professionnelles de janvier permettrait-elle de changer la donne ?