Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
pressenza
Les faucons préparent la guerre : l’industrie de l’armement reçoit le message avec euphorie.
#UE #armement
Article mis en ligne le 21 mars 2024
dernière modification le 18 mars 2024

La Commission européenne lance sa stratégie industrielle de défense, mettant en circulation 1,5 milliard d’euros pour le secteur de l’armement et plaçant l’industrie militaire au cœur de la prise de décision politique.

Mardi 5 mars, la Commission européenne a donné le coup d’envoi de la campagne électorale d’Ursula Von der Leyen en présentant la nouvelle stratégie industrielle de défense dont la mesure la plus visible prévoit 1,5 milliard d’euros pour un nouveau « Programme industriel de défense européen » (EDIP). Il ne s’agit pas seulement de ce fonds et d’autres mesures visant à renforcer l’industrie, mais aussi de créer une atmosphère d’avant-guerre, encadrée par plusieurs déclarations sur la fin de l’époque où l’Europe se préoccupait de la paix. Les mots clés résonneront jusqu’au début de l’été dans toutes les discussions politiques européennes. Il s’agit de « changement de paradigme », de menace ou de danger « existentiel » et, surtout, de « sécurité ». Ce dernier mot est celui que l’équipe de Mme Von der Leyen a le plus souvent entendu dans les groupes de discussion (focus group) avec lesquels l’Allemande prépare son second mandat à la tête de la Commission européenne.

Alors que la zone euro est au bord de la récession depuis plusieurs mois, le pari du faucon Von der Leyen sur l’industrie de l’armement vise avant tout à recentrer le débat des prochaines élections sur la menace russe et, plus subtilement, sur les migrations. Pas un mot sur le conflit du Proche-Orient ni sur le génocide israélien à Gaza, qui dure depuis cinq mois. (...)

Cela signifie-t-il qu’il existe un risque réel de guerre avec la Russie ? Il est difficile de répondre à cette question. L’expérience de février 2022, où l’invasion russe a modifié les conceptions sur la distance entre les menaces et la réalité, invite à la prudence. Tout peut arriver, même si, pour l’instant, le résultat le plus clair des politiques de sécurité est l’augmentation des budgets, l’augmentation des aides et de nouveaux mécanismes de transfert d’argent vers les fabricants d’armes.

Mais pour Laëtitia Sédou, du Réseau européen contre le commerce des armes (ENAAT), le document approuvé a une valeur performative incontestable : « Nous sommes face à une effrayante prophétie autoréalisatrice qui ouvre la voie à de nouvelles guerres, faisant du 1,5 milliard d’euros supplémentaires pour l’EDIP un sujet presque anodin.

Cette chercheuse explique qu’en plus de ce fonds, les textes comprennent deux nouveaux instruments, la Structure du programme européen d’armement (SEAP) et le Mécanisme européen de vente militaire, qui « faciliteront grandement les exportations d’armes à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE », selon Laëtitia Sédou, et qui ont été présentés sans faire la « moindre référence » à la Position commune et au droit international qui sont censés régir ces exportations d’armes.

Miguel Urbán (Anticapitalistas – The Left) prévient que « les élites européennes nous préparent à la guerre, comme nous l’avons dit face à l’ignoble invasion russe de l’Ukraine et à la réponse militaire de l’OTAN ». Ainsi, selon l’eurodéputé, les déclarations de Macron et Von der Leyen évoquant la possibilité d’envoyer des soldats européens en Ukraine « visent à préparer le terrain pour quand cela arrivera ». (...)

L’Europe est en train de changer de scène. Le rythme s’est accéléré depuis 2022 et l’on parle désormais ouvertement d’une course. Le Green New Deal [Nouvel accord vert] a été relégué au second plan et la rhétorique met en avant ce « changement de paradigme stratégique », selon lequel la question de la défense ne concerne pas seulement l’Ukraine, mais aussi la position de l’UE dans le monde. Il ne s’agit pas seulement d’une question de valeurs européennes, mais essentiellement d’une question de production et d’investissement. Mme Von der Leyen a déclaré que la nouvelle stratégie « aidera les États membres non seulement à dépenser plus, mais aussi à dépenser mieux, ensemble et d’une manière européenne ».

En pratique, cela signifie que l’industrie de l’armement bénéficiera de l’appartenance à un groupe de haut niveau spécifique ayant la capacité d’influencer les politiques européennes. (...)

Prêts pour la guerre

L’approche fondamentale de la stratégie de la Commission européenne est celle d’un impératif moral de soutenir l’Ukraine. Deux thèmes principaux sous-tendent ce cadre. Premièrement, c’est une manière de renforcer l’OTAN avant la victoire électorale prévue de Donald Trump aux élections de novembre 2024. L’hypothèse d’un abandon désordonné de l’Ukraine par les États-Unis – Trump est favorable à un déplacement de la musique militaire vers la Chine – lie encore plus étroitement l’Union européenne, et notamment l’Allemagne, à l’effort de guerre contre la Russie. La tendance qui se dessine est donc celle d’une Union européenne prenant les rênes de l’OTAN, devenue une sorte d’ « armée européenne », et reprenant l’initiative face à la défection possible des États-Unis de l’alliance.

Liée à la précédente idée, cette stratégie est aussi un moyen de soumettre à un marquage l’extrême droite ayant un passé poutiniste et d’un autre côté aspirant au retour de Trump. L’objectif est de mettre hors-jeu l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), dont les membres ont entretenu des contacts avec la Russie, et le Rassemblement national français – qui était déjà le parti le plus voté aux élections européennes de 2019 – mais aussi la Ligue de Matteo Salvini, en perte de vitesse, et le Fidesz de Viktor Orban, aujourd’hui en disgrâce. (...)

Au cas où des doutes subsisteraient quant à l’augmentation des dépenses de guerre, la nouvelle stratégie proposée par la Commission européenne vise à « garantir que les budgets nationaux et de l’UE soutiennent avec les moyens nécessaires l’adaptation de l’industrie européenne de la défense au nouveau contexte de sécurité ».

L’Allemagne est, comme souvent, le pays clé de la stratégie actuelle de la Commission européenne et le pays où se déroule actuellement le plus grand désaccord. (...)

les plus grands doutes proviennent de la proposition française d’émettre des euro-obligations pour l’industrie militaire, ce qui va à l’encontre de la logique « frugale » des Européens centraux, en commençant par l’Allemagne et en continuant par les Pays-Bas. (...)

La chercheuse de l’ENAAT dénonce le fait qu’avec les textes adoptés mardi, la militarisation de l’UE « échappe à tout contrôle, transformant la Commission européenne et toutes ses politiques – principalement civiles – en une véritable ‘machine de guerre’ pour l’industrie de l’armement ». Le printemps du Green New Deal expédié rapidement, la doctrine du choc militaire est arrivée dans l’hiver européen et menace de passer des déclarations aux actes.