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Mediapart
Les investissements dans l’IA prennent de plus en plus le chemin d’une bulle technologique
#IA #bulleTechnologique
Article mis en ligne le 13 août 2025
dernière modification le 9 août 2025

Les Big Tech états-uniennes accélèrent leurs investissements dans les centres de données. L’enjeu est la domination future du marché. Mais le risque de surcapacité et de manque de rentabilité augmente à mesure que cette ferveur prend la forme d’une fuite en avant.

Alors qu’OpenAI a lancé jeudi la version 5 de Chat GPT, la ferveur pour l’intelligence artificielle (IA) commence à se voir dans les statistiques macroéconomiques. Du moins aux États-Unis. Depuis que le Bureau d’analyse économique (BEA) a publié, la semaine passée, son évaluation préliminaire de la croissance au deuxième trimestre 2025 aux États-Unis, les graphiques spectaculaires se multiplient pour montrer l’ampleur des investissements dans l’IA. (...)

Tout cela s’inscrit dans les annonces des grandes firmes technologiques d’investissements massifs dans l’IA dans les prochaines années. Google (Alphabet), Apple, Microsoft et Amazon ont ainsi annoncé vouloir investir pas moins de 344 milliards de dollars sur la seule année 2025 dans cette technologie, principalement dans des centres de données. À l’horizon 2028, on parle de 3 000 milliards de dollars cumulés d’investissement dans les seuls centres de données. En parallèle, les start-up liées à l’IA ont levé 100 milliards de dollars sur le seul premier semestre.

Et l’engouement pour l’IA se traduit mécaniquement dans les cours de Bourse. Les marchés financiers sont persuadés que cette technologie est la nouvelle poule aux œufs d’or et ils soutiennent donc les groupes qui y investissent le plus. Là encore, les Big Tech sont les grands gagnants de l’affaire (...)

En réalité, il est très difficile d’isoler un effet IA. Après la crise sanitaire, les dépenses en matériel informatique et en logiciels ont augmenté parce que le travail à distance a augmenté et que beaucoup d’entreprises ont pris conscience de leurs retards dans le domaine technologique. Car l’ensemble des équipements technologiques et des logiciels ne concernent pas que l’IA et, à l’inverse, il peut y avoir des dépenses d’IA dans d’autres lignes statistiques, par exemple dans la défense. (...)

Ce qui est certain, c’est que l’effet IA n’a pas été capable au deuxième trimestre de compenser entièrement le ralentissement du reste de l’économie. (...)

D’ailleurs, malgré les chiffres présentés plus haut, l’investissement global aux États-Unis au deuxième trimestre a stagné. Sans compter que la croissance des emplois a fortement ralenti.

C’est aussi ce que laissent entendre les résultats financiers des Big Tech publiés cet été. Si ces résultats ont été bons, voire très bons, c’est essentiellement en raison des activités de ces groupes non liées à la nouvelle technologie. Meta a surtout gagné de l’argent avec une publicité branchée sur une IA non générative, donc la technologie précédente. Quant à Microsoft et Amazon, ils ont surtout profité du mouvement de fond des entreprises vers les services de cloud, c’est-à-dire de stockage numérique des données.

Autrement dit : le secteur technologique connaît une croissance indépendante de l’IA générative qui peut fort bien expliquer le poids croissant des investissements technologiques dans la croissance états-unienne. (...)

Construire des data centers et acheter des logiciels ne suffit pas à tenir une économie de la taille des États-Unis. L’effet positif de l’IA sur la croissance ne peut, dans l’immédiat, qu’être réduit. La seule façon d’établir un lien durable et positif entre IA et croissance serait que l’IA remplisse sa promesse de relever les gains de productivité de manière notable et permanente. Mais nous n’y sommes pas encore. Le discours sur l’impact macroéconomique de l’IA ressemble donc beaucoup à une mode, une « hype » caractéristique des moments de bulles technologiques.
Fuite en avant dans l’obscurité

C’est là le nœud du problème actuel. L’usage de l’IA reste encore réduit et son impact sur la productivité demeure à démontrer. Pour l’instant, cette technologie permet surtout de produire des vidéos falsifiées et de répondre à des quiz de culture générale plus rapidement qu’avec une recherche classique sur Internet. Mais son usage productif demeure confidentiel et largement à la phase d’essai. Seulement 3 % des utilisateurs de ChatGPT ou Gemini, le robot de Google, acceptent de payer.

C’est pour cette raison que ces investissements massifs dans l’IA n’ont pour l’heure pas réellement d’horizon de rentabilité. Tout repose sur la croyance des dirigeants de la Silicon Valley que l’IA sera capable de redessiner la façon dont on produira dans l’avenir. (...)

Dans l’immédiat, il s’agit donc moins de rentabiliser les investissements que de s’assurer d’une future domination sur la technologie. C’est pour cette raison que les investissements se concentrent sur les centres de données, c’est-à-dire le cœur de l’infrastructure des grands modèles de langage (Large Language Model – LLM) sur lesquels repose la technologie. Plus vous disposerez de centres de données, plus vous serez incontournable dans l’utilisation future de l’IA.

Pour la Big Tech, l’enjeu est en fait vital : il s’agit de préserver la rente sur laquelle leur modèle économique repose, c’est-à-dire faire en sorte que s’instaure une dépendance des utilisateurs vis-à-vis de leurs services. En passant, il y a aussi la possibilité de se débarrasser de concurrents. Autrement dit : les investissements d’aujourd’hui sont perçus comme des moyens de préserver la domination de ces groupes sur l’économie.

Ces grands groupes technologiques sont richissimes et disposent d’une rentabilité confortable. Mais l’ampleur des investissements engagés pose question. (...)

. Autrement dit, ces groupes investissent plus qu’ils ne gagnent pour l’emporter dans la course aux infrastructures de l’IA. Déjà la moitié des futurs investissements dans les centres de données devront être financés par du « crédit privé », c’est-à-dire par des prêts issus de la finance de l’ombre à laquelle la Big Tech a massivement recours.

Sur le papier, cela ne poserait pas de problème particulier si, effectivement, les besoins suivent les capacités et que les services offerts en conséquence sont hautement rentables. Mais nul ne peut être sûr de cela. Pour l’instant, Meta a reconnu ne pas s’attendre à un chiffre d’affaires « significatif » lié à l’IA générative en 2025 et 2026. Cette course folle aux investissements dans l’IA ressemble, comme le souligne un éditorialiste du Financial Times à un « tir dans l’obscurité ». (...)

Et cela est d’autant plus vrai que la bataille de l’IA ne se joue pas qu’entre groupes de la Big Tech états-unienne, elle se joue aussi avec la Chine qui a réussi à développer DeepSeek, un modèle d’IA générative moins coûteuse et fondée sur des sources ouvertes. Cette double caractéristique menace le modèle des groupes de la Silicon Valley parce qu’elle risque de rendre leurs investissements moins rentables tout en favorisant l’imposition d’un standard qui leur échappe. Et c’est bien dans ce contexte qu’il faut aussi saisir le conflit latent sino-états-unien actuel.

Or, précisément, dans ce combat, la victoire des États-Unis est loin d’être acquise. (...)

La Chine aussi investit massivement dans les centres de données : pas moins de 98 milliards de dollars y seraient consacrés en 2025 selon les chiffres de la Bank of America rapportée par l’agence Bloomberg. Xi Jinping vient donc lui aussi se mêler à la course à l’IA avec la même ambition : dominer le futur marché par l’imposition d’un standard et une présence majeure dans les data centers. (...)

On a donc beaucoup d’acteurs et des investissements massifs pour peu d’usage, pour l’instant. Bien sûr, ces acteurs vont tout faire pour imposer des usages de l’IA générative capables de rentabiliser ces investissements. Mais là encore, il faudra que ces usages soient assez rentables et massifs pour permettre d’échapper au piège de la surcapacité qui guette de plus en plus. (...)

Nul ne peut prédire l’avenir et il est probable que l’IA générative devienne d’usage courant. Mais ce fait même n’est pas la garantie de la rentabilité des investissements engagés aujourd’hui, ni de son impact sur la croissance à long terme. D’autant que le développement de l’IA vient percuter la crise écologique actuelle avec son besoin massif d’énergie. Dès lors, une fin heureuse à cette fuite en avant ne semble pas très probable.