
L’essayiste publie un nouvel ouvrage consacré à #MeToo dans lequel elle met gravement en cause le travail de Mediapart sur les violences sexistes et sexuelles. Au mépris des faits, et sans nous avoir contactés au préalable.
« J’ai besoin de toujours examiner les faits, rien que les faits. » Il faut prendre Caroline Fourest au mot, et lire attentivement son dernier livre, Le Vertige MeToo (Grasset). Cet opus, dont la sortie fait déjà l’objet d’une importante promotion (Le Parisien, France Inter, France 5…), met gravement en cause Mediapart, ses journalistes et même ses lecteurs et lectrices.
Mentionné plusieurs dizaines de fois, notre journal, avec ses enquêtes et son indépendance, est la cible de cette charge en raison de son rôle actif, par ses révélations, dans la prise de conscience provoquée par le mouvement #MeToo.
La critique est libre et il ne s’agit pas d’alimenter un débat que nous n’avons ni suscité ni souhaité entre une essayiste, qui se présente comme « féministe », « journaliste » et « réalisatrice », et un journal d’information générale.
Il n’est pas question en revanche de laisser place à l’infamie, ou de contribuer à propager des erreurs, voire des mensonges, par notre silence ou notre indifférence. Car sur « les faits, rien que les faits », il y a beaucoup à dire. Ou plutôt à rectifier.
Dans cet ouvrage, Caroline Fourest sous-entend que Mediapart choisit ses enquêtes selon des critères ethno-raciaux ou religieux. Que nous contribuons, de fait, à l’antisémitisme qui sévit en France par nos révélations sur #MeToo. Et que nos lecteurs et lectrices sont avides de nourrir le racisme anti-juif. (...)
Ce soupçon, qui ne se fonde sur aucune base factuelle, est insupportable. (...)
Caroline Fourest relaie une autre fake news, celle sur notre travail concernant l’islamologue Tariq Ramadan. « Le média s’est contenté de faire le service minimum », écrit-elle. Notre dossier consacré à cette affaire emblématique compte pourtant 28 articles (dont une longue enquête de 2017 intitulée « Violences sexuelles : le système Tariq Ramadan » et des révélations en 2018 sur le fait que l’islamologue a acheté le silence d’une femme qui avait dénoncé son emprise). À titre de comparaison, notre dossier sur les accusations visant Gérard Depardieu est doté de 12 articles ; celui sur Gérald Darmanin en dénombre 22… (...)
Il est également faux d’écrire qu’Edwy Plenel, cofondateur de Mediapart, « a passé beaucoup de temps à faire la tournée des banlieues en compagnie du prédicateur », « après les attentats de 2015 contre Charlie ». Qualifiant de « procès en sorcellerie » cette campagne mensongère, dont elle fut l’initiatrice en compagnie de Manuel Valls, notre directeur éditorial de l’époque et cofondateur, François Bonnet, avait longuement et précisément rétabli la vérité des faits.
Autre erreur factuelle : Mediapart n’a pas publié une enquête en cinq volets sur Ramadan « sous pression » après les accusations de violences sexuelles, comme l’écrit Fourest. Cette série d’articles, signés Mathieu Magnaudeix, a été publiée en avril 2016 – soit dix-huit mois plus tôt. Toujours en ligne, elle dépeint un « Zemmour à l’envers », « “vitrine” consentante du Qatar ».
Le volet #MeToo n’y figure pas. Et pour cause : nous sommes un an et demi plus tôt et nous n’avions alors jamais été alerté·es à ce sujet, comme nous l’avons expliqué à de nombreuses reprises. Caroline Fourest, en revanche, avait recueilli la parole de trois femmes dès 2009, mais avait délibérément choisi de ne pas enquêter à l’époque au point de se taire et de ne rien en dire publiquement. « Je ne me suis pas sentie de relayer leurs accusations tant que la justice n’était pas saisie », explique-t-elle aujourd’hui. Au début du livre, elle écrit : « Comme journaliste, j’enquête sur les discours, pas sur les lits, fussent-ils intégristes. »
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Aucun désaccord intellectuel ou politique ne légitime la calomnie et le mensonge. Directrice éditoriale d’une publication, Franc-Tireur, propriété du milliardaire Daniel Kretinsky, qui se réclame de la gauche, Caroline Fourest devrait se souvenir des recommandations de Jean Jaurès, dans son premier éditorial de L’Humanité, pour qui la « cause socialiste » n’avait « besoin ni du mensonge, ni du demi-mensonge, ni des informations tendancieuses, ni des nouvelles forcées ou tronquées, ni des procédés obliques ou calomnieux, […] ni qu’on diminue ou rabaisse injustement les adversaires, ni qu’on mutile les faits ».
Par la voix de sa présidente, Carine Fouteau, Mediapart en fait également part à son autrice et à son éditeur, la maison Grasset, dont la réputation est atteinte par les mensonges et calomnies répétés de Caroline Fourest.