
Alors que la montée du RN pourrait faire basculer la France dimanche, nous avons demandé à des artistes déjà confrontés à des gouvernements d’extrême droite dans leurs pays quelles avaient été les conséquences, et comment ils faisaient face.
ÉTATS-UNIS - Laura Raicovich, ex-présidente du Queens Museum de New York (...)
« Le jour de l’inauguration de Donald Trump, le milieu culturel a appelé à une journée de grève. Nous avons suivi le mouvement mais avons décidé de laisser le musée ouvert. L’idée, c’était de pouvoir se rassembler, parler ensemble ou se consoler. Des gens très différents sont venus, des grands-mères, des profs, des passants… Certains se sentaient isolés, d’autres avaient peur pour les mois à venir. Ce n’était pas grand-chose, mais le quartier s’est senti soutenu par le musée, loin de l’image élitiste que peuvent parfois revêtir certains lieux culturels.
Quand Trump a annoncé l’arrêt du programme DACA, qui prévoyait la régularisation de nombreux sans-papiers, nous avons aussi décidé de soutenir les communautés qui vivent autour du musée, et nos employés – près de 20 % d’entre eux étaient potentiellement menacés par une expulsion. Nous nous sommes rapprochés d’associations de libertés civiles et de défense des droits des migrants, pour comprendre la situation, les recours, etc., afin de devenir une sorte de centre d’aide et de ressources pour le public. Nous avons aussi prêté nos espaces à certains collectifs pour qu’ils puissent s’organiser. C’est d’ailleurs peut-être l’une des choses les plus simples à lancer en ces temps de crise : faire un inventaire des outils que l’on peut mettre à disposition de nos publics – des micros, des salles, des chaises…
Je ne crois pas en la neutralité, et je ne crois pas qu’un musée puisse l’être. C’est une fiction. Desmond Tutu le disait : “Si vous choisissez la neutralité dans les situations d’injustice, vous prenez le parti de l’oppresseur.”
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POLOGNE - La cinéaste Małgorzata Szumowska
« Nous sortons de huit années de pouvoir ultraconservateur en Pologne. Je me souviens du choc immense, du sentiment de sidération qui nous a saisis, artistes, journalistes, écrivains situés à gauche, lorsque le PiS a remporté les élections pour la première fois, en 2015. Nous n’arrivions pas à comprendre pourquoi c’était arrivé. Nous avions aussi un sentiment de culpabilité. Est-ce que nous nous étions assez battus pour que l’histoire soit différente ? Ne nous étions-nous pas enfermés dans une niche, un entre-soi, parlant surtout aux élites éduquées, sans nous préoccuper des gens ordinaires ?
Cette période a été extrêmement intense pour le monde culturel. La Pologne avait deux visages, celui du conservatisme, du nationalisme, du racisme et celui de la démocratie, des droits fondamentaux, pour lequel nous nous sommes battus. Pendant ces huit années, nous nous sommes unis contre le régime. Nous avons envoyé d’innombrables lettres au président du Conseil, au gouvernement. Nous avons créé des collectifs de cinéastes, d’artistes. Nous sommes descendus dans la rue pour dire non aux attaques contre le droit à l’avortement, contre l’indépendance de la justice, contre la censure, etc.
Les périodes agitées sont toujours stimulantes pour les artistes. Cela nous a unis.
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Aujourd’hui, un gouvernement libéral a succédé au PiS mais rien n’a changé à la frontière. La Pologne continue, avec le soutien de l’Union européenne, à limiter les arrivées de réfugiés qui tentent de traverser, même si le Premier ministre Donald Tusk avait promis de faire respecter les droits de l’homme… Je ne suis pas très optimiste pour les temps qui viennent. Que faire, sinon mettre l’accent sur l’éducation, l’accès à toutes les cultures, l’accès aux arts ?
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ITALIE - L’écrivain Sandro Veronesi (...)
« Je n’irai pas à Fran
cfort, mais tant mieux si les écrivains italiens qui s’y rendent parviennent à témoigner de notre malaise et de notre inquiétude. Nous devons résister tant que c’est possible, et il faut que cela ait une résonance internationale. Francfort est une occasion. La manière dont Saviano a été exclu illustre le fonctionnement des fascistes. En conférence de presse, le commissaire spécial a dit qu’ils ont choisi des auteurs à l’œuvre intégralement originale [Saviano est accusé d’avoir utilisé sans autorisation des articles de presse dans son dernier livre, ndlr]. Le lendemain : volte-face, ils parlent d’un oubli. Il n’y a pas de possibilité de parler avec ces gens qui font une chose et la nient aussitôt. Dans les rassemblements de la jeunesse mélonienne, comme l’a montré l’enquête du site fanpage.it, ils font le salut romain et hurlent des slogans fascistes, ce que leurs dirigeants démentent tous les jours.
Il faut prendre conscience que le dialogue est impossible, le seul choix est d’opposer à la culture telle qu’ils l’entendent la nôtre, la culture libre. Un mur contre un mur. Nous devons dire aux Européens ce qui se passe, car ayant un gouvernement d’extrême droite depuis bientôt deux ans, nous sommes un point de repère. Notre télévision publique est mise au pas comme jamais auparavant, même sous Berlusconi. Des présentateurs se font virer, des doubleurs hésitent même à poser leur voix sur une série d’animation tirée du travail de Roberto Saviano, de peur de ne plus trouver de boulot. Nous avons le devoir de témoigner.(...)