
« Nous aimons les animaux et nous aimons manger leurs cadavres. Nous blâmons la cruauté et nous encourageons l’élevage industriel. Nous éprouvons de l’empathie pour les chiens et les chats et nous exploitons les vaches et les cochons », écrit Martin Gibert dans son livre Voir son steak comme un animal mort, paru chez Lux en 2015. Voilà un exemple type de dissonance cognitive. Comment les humains s’accommodent-ils de cette contradiction ?
(...) Pour le théoricien Leon Festinger, la première stratégie pour résoudre ou réduire une dissonance cognitive consiste à modifier l’importance d’une cognition conflictuelle. Dans le cas du paradoxe de la viande, cela peut se traduire ainsi : se persuader que les animaux ne sont pas conscients ou, du moins, qu’ils ne sont pas assez conscients pour vraiment souffrir.
Ce déni de la conscience animale est un phénomène très répandu et bien documenté. Pour David Chauvet, il convient même de parler d’une phobie – une « mentaphobie » – « parce qu’on a peur de reconnaître cette conscience, dans la mesure où la reconnaître signifie devenir un criminel en tuant des animaux [1] ». Pourtant, comme la déclaration de Cambridge sur la conscience animale le souligne (voir le chapitre 1), il ne fait aujourd’hui plus aucun doute que les vertébrés ressentent la douleur et éprouvent des émotions.
Les poissons sont probablement les premières victimes de ce déni de conscience. Dans ma transition vers le véganisme, j’ai moi-même eu ma phase « pesco-végétarienne ». Je ne mangeais plus de viande, mais je ne voyais pas de problèmes – sinon environnementaux – avec les poissons. Je n’arrivais tout simplement pas à me représenter la souffrance d’un poisson.
Et, pour dire la vérité, je n’ai pas depuis lors développé d’empathie particulière pour les saumons ou les truites. Mais je me suis renseigné. Comme tous les vertébrés, les poissons ont un système nerveux central (un cerveau) et ils peuvent ressentir la douleur [2]. Or, le nombre de poissons tués chaque année est considérable – bien plus que les 60 milliards d’animaux terrestres envoyés à l’abattoir. (...)
De façon plus générale, on constate que les gens attribuent moins de capacités mentales aux animaux qu’ils jugent comestibles comme les vaches ou les chèvres qu’à d’autres espèces comme les chiens, les chats, les lions ou les antilopes [6]. Toutefois, on peut se demander si c’est parce que les gens jugent qu’une espèce souffre moins qu’ils la consomment ou, au contraire, si c’est parce qu’ils la consomment qu’ils jugent qu’elle souffre moins. (...)
[Deuxième partie à paraître « …mais nous avons besoin de protéines animales »]. (...)