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Mediapart
Maroc : un an après le séisme, les rescapés manifestent leur colère
#Maroc #seisme
Article mis en ligne le 11 septembre 2024
dernière modification le 9 septembre 2024

Le séisme qui a tué près 3 000 personnes dans le Haut-Atlas, le 8 septembre 2023, a également fait de nombreux sinistrés qui s’organisent pour dénoncer une mauvaise gestion de la reconstruction. Les aides promises tardent à arriver, alors que la corruption gangrène les démarches administratives.

Voilà un an que Mohammed* dort dans « l’guitone », une tente barricadée avec de la tôle et divers objets, à Moulay Brahim. Le 8 septembre 2023, sa maison a été rasée par le séisme qui a ravagé le Haut-Atlas et tué près de 3 000 personnes. Sous l’œil de la famille royale, dont il a accroché la photo, il s’est aménagé un lit et un petit coin cuisine sous la tente. La chaleur est suffocante, mais dehors, l’orage menace. Comme de nombreuses familles, Mohammed est écœuré d’en être encore là. « Akhannouch, il est bien loin de tout ça », souffle-t-il.

Loin, à 400 km : à Rabat, le premier ministre Aziz Akhannouch a réuni la commission interministérielle chargée du programme de reconstruction et de réhabilitation des zones sinistrées le 1er septembre. Il a défendu une « avancée positive notable dans la mise en œuvre du programme » : 97 % des familles sinistrées ont pu bénéficier du soutien de l’État, a-t-il annoncé, et plus de 55 000 autorisations de reconstruction ont été octroyées. (...)

Il suffit pourtant de se rendre sur place, en empruntant la route nationale encore largement endommagée, pour constater que ce sont les tentes, la tôle et les bâches qui dominent le paysage, des environs de Taroudant jusqu’à la région du Haouz. Le discours royal du 14 septembre 2023 prévoyait « des formules adaptées d’hébergement sur place et dans des structures conçues pour résister au froid et aux intempéries ».

Le 28 août, plusieurs douars (divisions administratives rurales) se sont réunis pour protester à Tlaat N’Yaqoub. Rassemblements, marches, plaintes : les citoyen·nes se sont mobilisé·es de nombreuses fois cette année, révolté·es contre un système qui leur avait promis une reconstruction rapide.

Une aide d’urgence insuffisante pour survivre (...)

« Le constat des dégâts a été fait à la va-vite », dénonce Siham Azeroual, fondatrice de l’entreprise sociale Moroccan Douars. Basée à Ouneine, dans la région de Taroudant, elle appelle régulièrement aux dons, via sa page Instagram, pour aider celles et ceux qui sont inéligibles aux aides, mais dont les maisons ne tiennent pourtant plus le coup sous les intempéries. « Pour bénéficier des aides, il faut vraiment avoir un mur détruit… et tu dois reconstruire intégralement la maison, alors que des réparations seraient possibles », dit-elle. (...)

De toutes façons, les critères ne sont pas respectés, selon Mohammed. « Il y a des gens dont la maison n’a même pas été touchée par le séisme qui ont reçu les aides, pendant que d’autres vivent sous les tentes, se plaint-il. Bien sûr qu’il y a de la corruption ! Déjà, si tu ne donnes pas 500 dirhams, on ne t’enlève pas les débris. »

De nombreuses familles sont dans la même situation que lui : suspendues aux décisions du moqqadem, du qaïd, du bacha…, c’est-à-dire les autorités rattachées à différentes échelles locales, qui ont entre leurs mains le sort des sinistré·es. Pour Siham Azeroual, c’est la première erreur commise dans la gestion post-séisme. « Une commission indépendante aurait dû être chargée du recensement des victimes. Il aurait fallu s’ouvrir à l’aide des associations locales. Actuellement, personne ne contrôle ce qui se passe », regrette-t-elle.

Alors les sinistré·es se mobilisent, quitte à se frotter à diverses formes d’intimidation. (...)

Certains douars parviennent à mener des actions groupées : ils marchent jusqu’aux bâtiments officiels pour exiger une entrevue avec des hauts responsables. En février, un groupe a marché des environs de Taroudant jusqu’à la préfecture, puis, empêché d’entrer, a poursuivi jusqu’au gouvernorat d’Agadir. Soit des heures de marche, en passant la nuit dans les jardins publics. (...)

En juillet, Omar Aarbib a suivi le cas d’une femme originaire d’Ijoukak, Fadma Ihnin, qui a écopé d’un mois de prison pour « outrage à agent de l’autorité publique ». « Elle n’a rien fait d’autre que défendre ses droits. Son jugement n’a pas été équitable », soutient-il. L’AMDH dénonce la corruption d’un des responsables de cette commune, qui se livrerait au trafic de permis de construire ou encore au détournement de l’orge distribué par l’État aux familles possédant du bétail.

Jeudi 5 septembre, à Asni, une autre arrestation a eu lieu : Saïd Aït Mehdi, un associatif plusieurs fois monté au créneau pour dénoncer la corruption, s’apprêtait à porter plainte contre un responsable local… lorsqu’il s’est trouvé accusé de trafic de drogue. Il a finalement été relâché après une nuit à la gendarmerie. L’AMDH dénonce de « fausses accusations pour saper la réputation du militant ». (...)

À quelques kilomètres de là, les restaurants et les hôtels de luxe de la ville ocre ont dans le viseur la Coupe d’Afrique des nations, qui arrive l’an prochain, et la Coupe du monde, en 2030. Coût estimé de l’organisation, côté Maroc : 5 milliards de dollars.