
Le pénaliste est décédé dans la nuit de mardi à mercredi. Il avait mis toute son âme dans la défense de l’ex-chirurgien pédocriminel, condamné en mai à vingt ans de réclusion. « Tout laisse à penser à un suicide », a indiqué le procureur de Rennes.
Il était une lueur d’humanité sur le banc de la défense. Pendant trois mois d’une audience suffocante, Me Maxime Tessier avait su porter avec dignité la voix du pédocriminel Joël Le Scouarnec, condamné par la cour criminelle du Morbihan à vingt années de réclusion pour près de 300 viols et agressions sexuelles, le 28 mai. L’avocat pénaliste est décédé à 34 ans, a-t-on appris mercredi 9 juillet.
« Tout laisse à penser à un suicide », a indiqué le procureur de Rennes, Frédéric Teillet, annonçant avoir ouvert une enquête pour recherche des causes de la mort.
Salué par l’accusation comme par les parties civiles, Maxime Tessier avait veillé à chaque instant au respect des 299 victimes du chirurgien, des ex-patient·es pour l’essentiel. « Nous avons régulièrement dit [aux victimes] notre admiration et leur courage », déclarait-il à l’issue du verdict. (...)
Au fil du procès, Me Tessier avait choisi d’axer toute sa plaidoirie sur le repentir du prédateur, qui avait livré des aveux complets au bout de quelques jours d’audience. « Maxime l’a fait de manière complètement sincère, raconte son collègue. Il ne jouait pas un rôle, il était authentique. Il aurait été incapable de faire autrement, il ne trichait pas. »
« On est tous sous le choc et bouleversés, réagit Manon Lemoine, membre du collectif de victimes de Le Scouarnec, auprès de Mediapart. Même s’il avait pris le parti de défendre un homme qui a commis des horreurs, il a fait son travail avec bienveillance envers nous. » (...) (...)
Dans le monde judiciaire, comme parmi les victimes de Joël Le Scouarnec, beaucoup craignent que la mort de Maxime Tessier ne soit pas sans lien avec l’horreur des faits exposés devant la cour et le travail accompli en proximité avec le pédocriminel. Personne ne se hasarderait à suggérer une corrélation directe. Mais le « traumatisme vicariant », celui qui peut toucher par ricochet, est dans toutes les têtes. (...)
« Un procès aussi intense, avec une telle fréquentation du mal et de la souffrance, peut occasionner un traumatisme vicariant », rappelle le psychiatre Thierry Baubet, venu témoigner au procès des séquelles que laissent les violences sexuelles infligées durant l’enfance, même des décennies après, même quand la mémoire les a occultées.
Bien sûr, il prend soin de ne pas se prononcer sur le cas de Maxime Tessier. Mais « on peut imaginer que toute cette séquence a été un facteur de fragilisation », déclare le professeur, chef de service à l’hôpital Avicenne (AP-HP), connu pour avoir accompagné des survivant·es du Bataclan.
Durant le procès Le Scouarnec, une équipe de psychologues de France Victimes était certes présente au tribunal, accessible en principe aux avocat·es. « Mais les personnes qui ne sont pas victimes directes se sentent rarement légitimes à dire qu’elles sont effractées par ce qu’elles entendent et qu’elles ont besoin d’aide », relève Thierry Baubet, citant le cas des services d’enquêtes, des magistrat·es ou des médecins, mais aussi des avocat·es. Elles peuvent aussi avoir peur de prendre la place d’une victime. A fortiori sur les bancs de la défense...
« Un passage à l’acte suicidaire est souvent multifactoriel. Pour autant, on ne peut pas oublier ce qu’il a traversé ces derniers mois, abonde Gwendoline Tenier, avocate au barreau de Rennes, d’ordinaire spécialisée dans la défense mais qui représentait une partie civile à Vannes. On a vu ce qui se passait, on sent les choses, on voit comment un avocat s’investit auprès de son client… »
« Si l’hypothèse d’un traumatisme vicariant s’avérait exacte, je pense que les barreaux devraient réfléchir à une aide thérapeutique analogue à celle dont les magistrats disposent au sein des cours d’appel », souligne l’ancien magistrat Denis Salas, directeur de la revue Les Cahiers de la justice, qui était en lien avec Maxime Tessier et préparait un entretien-fleuve avec ce « garçon brillantissime ».
Nécessité d’une prise de conscience collective (...)
Questionné par Mediapart, le cabinet de Yannick Neuder indique que ce dernier « s’est engagé à installer un suivi rapproché à la rentrée », impliquant les ministères de la santé, de la justice et le Haut-Commissariat à l’enfance. Mais seules les victimes sont évoquées. « Des mesures de prise en charge » psychologique « sont en cours de construction », ajoute le cabinet. Elles « seront discutées [...] avec le collectif dès la semaine prochaine » et devraient se déployer « d’ici la fin du mois ».
Mais Manon Lemoine pense aux policiers ou policières qu’elle a vus pleurer au procès, à l’huissier qui apportait le verre d’eau à la barre, à la maréchale des logis-chef Nadia M. qui a épluché des milliers de pages du « journal intime » de Joël Le Scouarnec, pierre angulaire de l’accusation. Étranglée par les larmes, la gendarme avait dû renoncer à déposer devant la cour. Et elle est en arrêt, aujourd’hui encore.
« On est très en colère », conclut Manon Lemoine, devant ce qu’elle qualifie d’« abandon général de l’État ». D’autant qu’à ses yeux, les victimes des attentats sont traitées, par les responsables politiques, avec plus d’attention que les victimes de violences pédocriminelles, confrontées à un déni sociétal massif. (...)