
Dans une note publiée en juin 2025, le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (HCSP) revient de manière détaillée sur le constat récurrent de la médiocrité des élèves français, à l’aune des comparaisons internationales, tout spécialement en mathématiques et en sciences. Avec dès le titre, la question : faut-il s’inquiéter ?
La note insiste d’une part sur la baisse des performances dans ces deux matières depuis 1975, d’autre part, sur notre piètre classement dans les enquêtes internationales Timss et Pisa1.
Ces constats ne sont pas neufs. C’est le cas en particulier de la baisse tendancielle depuis 1975 du niveau des élèves en mathématiques. Elle est importante : moins 1,2 d’écart-type entre la performance moyenne des élèves nés au milieu des années 1970 et ceux nés au milieu des années 2000. Et elle touche tous les élèves, à telle enseigne qu’en 2017, un enfant de cadre obtient des résultats en calcul inférieurs à ceux qu’obtenait en 1987 un enfant d’ouvrier ou d’employé. (...)
Cette baisse tendancielle des performances dans cette matière s’observe dans la plupart des pays de l’OCDE depuis que les enquêtes Pisa existent, soit l’an 2000. La baisse est moins marquée en sciences et en compréhension de l’écrit.
Sans reprendre tous les aspects de cette note, contentons-nous ici d’insister sur ce qu’ils révèlent, à nos yeux, de certaines spécificités de l’école française.
Un désintérêt pour la pédagogie ? (...)
les performances des pays ne relèvent pas uniquement, comme on est porté à le croire, de la qualité de leur système éducatif et des moyens qui y sont alloués. Par exemple, les élèves coréens brillent en mathématiques surtout parce qu’ils suivent massivement des cours privés après les heures de classe, dès leur plus jeune âge. (...)
La note pointe, après d’autres, la responsabilité des changements de mode de recrutement des professeurs des écoles. En portant leur recrutement à bac+5, il semblait évident que nous aurions des personnels plus qualifiés, tant, dans notre pays, on tend à assimiler le niveau de formation à une garantie de qualification.
Mais on néglige la discipline d’origine des candidats : en France, environ 80 % des professeurs des écoles sont dotés d’un master (bac+5) non scientifique, ce qui signifie que leurs derniers cours de mathématiques remontent à plus de cinq ans…
A cette idée bien ancrée en France – plus d’études c’est forcément mieux – s’ajoute le peu de considération pour la pédagogie, qui se traduit par une formation spécifique (initiale et continue) dénoncée comme insuffisante par une majorité de professeurs des écoles si l’on en croit l’enquête internationale Talis. (...)
Cette sous-estimation de l’importance des questions pédagogiques a d’ailleurs conduit à supprimer les redoublements, non sans raison vu les recherches qui en montraient l’inefficacité, mais sans s’interroger sur les adaptations pédagogiques qui eussent été nécessaires pour les élèves les plus faibles. On les a laissés passer à tous les âges, ne serait-ce que pour atteindre les mesures de performance européennes (80 % d’élèves terminant une formation secondaire), sans trop se préoccuper du niveau d’acquis de ces élèves à présent promus, ce qui est sans doute une des causes de la baisse tendancielle du niveau.
Par ailleurs, on ne s’interroge guère sur les conséquences probables de la montée des enseignants contractuels, notamment en maths, en général dépourvus de toute formation pédagogique. Or c’est dans cette discipline que l’importance de l’« effet maître » est la plus marquée : c’est dans cette matière que la qualité des intervenants affecte le plus les performances des élèves et les inégalités afférentes.
On élude aussi la question du temps scolaire, un temps qui s’est rétracté en primaire, de 27 heures hebdomadaires à 24 heures, dans des semaines où bien d’autres enseignements (éducation à l’environnement, initiation aux langues étrangères…) ont pris place. (...)
Mais il faut peut-être évoquer aussi notre représentation élitiste de ce qu’on peut appeler les « maths scolaires ». Sous l’influence de la prestigieuse école de Bourbaki, les mathématiques modernes ont été introduites dans les programmes à la fin des années 1960, en visant à développer la pensée logique et les capacités d’abstraction d’élèves de fait perçus comme des mathématiciens en puissance.
Des mathématiques coupées de la vie, extrêmement abstraites (les ensembles, les structures…) mais pas pour autant exemptes de représentations stéréotypées, convenant moins aux filles qu’aux jeunes garçons intelligents motivés par des olympiades nationales et internationales ! (...)
Toujours est-il que les maths servent dans notre pays d’outil commode, facilement discriminant, pour sélectionner les élèves et les canaliser vers les filières d’élite, sans que ce que savent les élèves considérés comme moins brillants constitue une priorité (ils peuvent même être dispensés de tout enseignement dans cette matière depuis la réforme du bac de 2019, même si on tente actuellement de rattraper un peu cet « oubli »).
La note évoque le risque de manquer à terme d’ingénieurs si le niveau en mathématiques continuait de se dégrader. (...)
Par rapport aux adultes des autres pays, les adultes français sont moins bons en « littératie » et en « numératie » alors qu’au terme de vigoureuses politiques de massification, ils sont plus diplômés qu’ailleurs…
Un constat qui interroge évidemment dans un contexte où l’efficacité des services publics est elle aussi questionnée, mais également parce qu’on sait qu’en matière de productivité globale, c’est le niveau des acquisitions qui compte et non le niveau de diplôme, alors qu’on a tendance à croire en France qu’élever le niveau de diplôme est suffisant.
Le plus inquiétant, et nous serons ici d’accord avec la note, ce sont avant tout les faiblesses spécifiques de notre système d’enseignement, incapable de doter tous les jeunes Français d’un « niveau de compétence minimal ».