
Tournée promo et misère de l’information.
La publication de l’essai de Caroline Fourest, Le Vertige MeToo (Grasset), a bénéficié d’une vaste mobilisation médiatique. (...)
Que des journalistes discutent publiquement la thèse d’un livre n’a évidemment, en soi, rien de problématique, y compris celle-ci. Mais encore faut-il le faire sur de bonnes bases… et de manière journalistique. Or, de l’absence d’appui théorique et scientifique, de la liste vertigineuse de mensonges, calomnies et erreurs commises par Caroline Fourest et répertoriées par Mediapart, des omissions pratiques dans ses descriptions d’affaires traitant des violences sexistes et sexuelles ou s’agissant de ses liens avec des hommes dont elle prend la défense, des postulats subjectifs qu’elle fait passer pour des vérités absolues, des raccourcis grossiers, il n’en sera pas, ou très peu, question.
Une fois n’est pas coutume, sachons gré à Benjamin Duhamel d’avoir été le seul journaliste de l’audiovisuel – parmi ceux précédemment cités, ayant reçu Caroline Fourest en majesté – à avoir cité en fin d’émission une infime partie de la réponse de Mediapart [1]. Mais sachons gré… à moitié seulement, tant Benjamin Duhamel fait preuve d’une maîtrise pour le moins approximative du fond du dossier qu’il soulève et qui lui donne, en apparence, des atours de contradicteur.
D’une part, parce que ne sélectionner qu’une partie des critiques sans faire état de l’étendue des éléments (accablants) avancés contre le travail et les méthodes de Caroline Fourest relève de la désinformation par omission. D’autre part, parce que mentionner l’existence de critiques tout en laissant la journaliste visée s’en arranger comme elle le souhaite et même en ajouter une couche – elle évoquera au cours de cette émission les « techniques de propagande » utilisées dans la réponse de Mediapart – ne relève pas de la « contradiction »… mais bien du SAV.
Et c’est bien là où le bât blesse : l’absence d’enquête auprès de Mediapart – entre autres… – sur ce dossier et l’absence d’invitation adressée à celles qui seraient en capacité d’assurer une réelle contradiction. (...)
En lieu et place, le rituel est identique sur chaque plateau : saluer le courage de l’autrice d’aborder ce sujet sensible – critiquer les méthodes féministes de dénonciation des violences sexistes et sexuelles n’a pourtant rien de rare ni de neuf ; n’apporter aucune correction factuelle, pas même quand Fourest prétend que Judith Godrèche – qu’elle affuble du statut de « procureur public » sur France 2 – a été mariée à l’homme qu’elle accuse de viol, Benoît Jacquot, alors qu’elle était adolescente ; et laisser l’outrance voguer sans encombre, par exemple lorsqu’elle affirme sur France Culture, face à un Marc Weitzmann tout à l’écoute, que « l’extrême gauche […], quand des Israéliennes sont violées le 7 octobre […], sont capables de vous dire que ça fait partie de la résistance. » (15/09)
Aucune nuance non plus – nuance pourtant réclamée par l’autrice dans son essai – quand Fourest s’arroge le droit de distribuer les bons et les mauvais points, renvoyant d’un revers de main la critique et la parole d’une auditrice, directement concernée par le sujet des violences sexistes et sexuelles, estimant sa pensée plus légitime. Bref, pas le moindre journaliste pour se référer aux travaux d’analyse établis sur le livre de Fourest, préciser le contrat de lecture – un avis individuel et subjectif sur un fait de société documenté par ailleurs – ou mentionner d’autres sources ayant une autorité scientifique sur les sujets abordés. Et encore moins, cela va sans dire, pour remémorer aux téléspectateurs ou auditeurs quelques aspects de l’édifiant CV de Caroline Fourest an matière de calomnies, ni a fortiori les vingt années d’archives patiemment collectées par Les mots sont importants.
Cerise sur le gâteau ? Entendre encore Caroline Fourest se prévaloir de l’autorité morale attachée à sa profession (...)
en définitive, cette séquence en dit sans doute moins long sur Caroline Fourest que sur les chefferies médiatiques qui lui déroulent envers et contre tout le tapis rouge. Logiques de copinage – en interview, « Caroline » appelle « Babeth » (Anne-Élisabeth Lemoine), « Léa » et « Benjamin » par leurs prénoms – ; reproduction des hiérarchies à l’œuvre dans le champ de l’édition consistant à consacrer les consacrés et à donner plus à ceux qui ont plus ; paresse intellectuelle ; mimétisme moutonnier ; droitisation… On ne saurait hiérarchiser les ressorts qui sous-tendent le « phénomène Fourest » et, en dernière instance, reviennent à mépriser l’information de même que l’éthique journalistique la plus élémentaire. À cet égard, le lancement d’Émilie Tran Nguyen pour France 5 en dit long – « C’est le livre qui dérange en cette rentrée littéraire ! », comme sa variante façon Léa Salamé sur France 2 – « C’est le livre qui fait le plus de bruit en cette rentrée ! » –, dont on connaît la passion pour le journalisme, ou bien plutôt… pour « le moment ».
Alors, puisque le cirque est voué à continuer, reste à constater l’impunité (...)