
Si critiques envers le rôle d’Elon Musk dans l’élection de Trump, les autorités françaises restent passives face à l’offensive de Vincent Bolloré. Les dernières élections législatives comme le financement du livre de Jordan Bardella montrent pourtant que le système de contrôle est dépassé.
Il a joué un rôle si important dans la campagne que Donald Trump lui a consacré un cinquième de son discours de victoire. Pendant près de quatre minutes, sur vingt au total, le nouveau président états-unien a célébré Elon Musk. (...)
Pour l’aider à reconquérir le pouvoir, le fondateur de Tesla et SpaceX a mis sa puissance financière au service du candidat suprémaciste (il a injecté près de 200 millions de dollars), organisant même une loterie « illégale » pour les électeurs et électrices de Pennsylvanie, ainsi que son arsenal industriel, à commencer par son puissant réseau social X (ex-Twitter), dont Trump avait été banni en 2021, qui a submergé le débat public de fake news. (...)
Au même moment, à Paris, le ministre des affaires européennes est reçu sur France Inter. Inconnu du public, Benjamin Haddad est le premier membre du gouvernement Barnier à réagir aux résultats de l’élection états-unienne. Interrogé sur la possibilité qu’ici aussi des richissimes hommes d’affaires mettent ouvertement la main sur les prochains scrutins, le ministre se montre sûr de son fait. (...)
Pour Benjamin Haddad, la France est totalement protégée de ce phénomène (...)
le contrôle du financement des campagnes est si défaillant en France que l’intégralité des dernières élections présidentielles a été émaillée de scandales. Benjamin Haddad devrait d’autant plus le savoir qu’il a débuté sa carrière dans les rangs de l’UMP, un parti tellement lesté d’affaires qu’il a dû changer de nom, dont il avait été désigné secrétaire national en 2011 (année où explose le scandale des financements libyens de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, en même temps que se met en place le système de double facturation Bygmalion pour la campagne à venir, en 2012).
Malgré la répétition des affaires et les constats d’impuissance de Jean-Philippe Vachia, président de la Commission des comptes de campagne (CNCCFP), l’organe chargé du contrôle, le Parlement a toujours refusé de prendre ce problème à bras-le-corps (...)
l’opération menée par les antennes du groupe Bolloré a en effet constitué un précédent : même si les grands groupes ont toujours pesé de tout leur poids sur les campagnes et cherché à façonner le débat public, jamais jusqu’ici l’un d’entre eux ne l’avait fait aussi ouvertement, de manière si assumée, décomplexée, dans l’espoir de permettre l’accession au pouvoir de l’extrême droite.
Dans un nouvel avis publié le 31 octobre, le gendarme de l’audiovisuel, l’Arcom, a une nouvelle fois sanctionné l’animateur Cyril Hanouna, à qui Vincent Bolloré a donné carte blanche pendant la campagne, pour avoir joué « de manière délibérée l’entremetteur » en vue de « favoriser » les discussions entre les partis d’extrême droite. Le présentateur de « TPMP » avait appelé en direct son ami Jordan Bardella, chef de file du Rassemblement national (RN), pour qu’il noue une alliance avec le parti Reconquête d’Éric Zemmour, autre candidat sponsorisé par Bolloré. Déjà, pendant la campagne, l’Arcom avait été contrainte de mettre en demeure la radio Europe 1 (autre média du groupe Bolloré) pour le manque de « mesure » et « d’honnêteté » de Cyril Hanouna à l’antenne. (...)
Malgré l’urgence de la situation, aucune proposition de réforme n’a été mise sur la table. Alors même que la sortie du prochain livre de Jordan Bardella, édité et promu par les rhizomes du groupe Bolloré, va constituer une nouvelle preuve éclatante, à compter de son arrivée en librairie le 9 novembre, de l’impossibilité de stopper ce rouleau compresseur avec les moyens actuels.
Dans un entretien au Parisien, le président du RN a reconnu sans ambages, le 27 octobre, que la sortie de son livre, et les moyens considérables qui y sont associés, « fait partie de la campagne permanente » du Rassemblement national. Pourtant, en France, faut-il le rappeler, les entreprises n’ont en théorie pas le droit de financer des campagnes électorales ou les activités de partis politiques. Mais la loi et les organes de contrôle ne sont pas calibrés pour faire face à un milliardaire qui, plutôt que de verser directement de l’argent à un candidat, mobilise les canaux d’information qu’il contrôle à son service. (...)
Leur parcours, leur modèle industriel, leur projet politique : beaucoup de choses distinguent un Elon Musk d’un Vincent Bolloré. Mais souligner les différences entre les États-Unis et la France présente aussi le risque d’oublier l’essentiel : les mouvements de convergence des extrêmes droites à l’échelle mondiale ne sont pas seulement idéologiques, ils sont aussi stratégiques. (...)