
Utilisées surtout pour des usages privés, les voitures de fonction créent une niche fiscale et sociale. Et engendrent chaque année une perte de 4 milliards d’euros pour la Sécurité sociale et l’État, explique l’ONG Transport & Environment.
Utiliser sa voiture de fonction pour emmener ses enfants à l’école, partir en week-end ou en vacances fait perdre de l’argent à l’État. C’est ce que dénonce Transport & Environment dans une étude publiée le 21 octobre. L’ONG, qui défend le transport propre en Europe, établit pour la première fois un chiffrage des baisses de taxation dont bénéficient les 1,1 million de voitures de fonction « fossiles », c’est-à-dire fonctionnant au diesel, à l’essence ou de façon hybride. Ces véhicules sont mentionnés dans les contrats de travail et peuvent être utilisés à la fois pour les besoins professionnels du salarié et aussi — et surtout — pour ses besoins privés. (...)
Léo Larivière — Cette perte est liée à la fois au régime de taxation, assez complexe, et à la réalité de l’usage de la voiture. Du point de vue de l’administration, une voiture de fonction sert à certains trajets professionnels ou à des besoins privés. La partie qui correspond aux besoins privés du salarié est considérée par l’Urssaf comme un équivalent de salaire. Logiquement, l’employeur devrait différencier les coûts associés aux trajets professionnels de ceux correspondant aux trajets privés. Ces derniers apparaissent sur la fiche de paie sous forme d’« avantage en nature », taxé avec des cotisations patronales et salariales et via l’impôt sur le revenu.
Ça, c’est la théorie. Dans la réalité, on ne sait pas (ou mal) isoler exactement la partie qui relève du privé de celle qui relève du professionnel. Les données privées du salarié sont en effet protégées via le RGPD [le règlement général de protection des données], et tout est un peu mélangé (...)
À défaut de pouvoir évaluer précisément ces trajets, l’administration a créé des « forfaits de taxation » qui sont réputés représenter en moyenne la part des dépenses liées aux trajets privés.
Ces forfaits sont fixés à 9 % du coût à l’achat de la voiture quand le salarié paie son carburant pour ses trajets privés, et à 12 % si c’est l’employeur qui les paie. Quand la voiture est en leasing [location avec option d’achat] — c’est le cas d’environ 6 voitures de fonction sur 10 —, la taxation est fixée à 30 % du coût de location si le salarié paie lui-même son carburant ou 40 % si c’est l’employeur. Ces taux sont appliqués sur la fiche de paie.
Jusque-là tout paraît normal...
Oui, mais ces moyennes correspondent à l’hypothèse selon laquelle les voitures de fonction sont utilisées en grande majorité pour des besoins professionnels et en minorité pour des besoins privés. Or dans la réalité, c’est l’inverse ! (...)
Nous avons évalué la part d’usage privé à une moyenne de 65 %.
« Cela crée une niche fiscale et sociale » (...)
au lieu de lui donner du salaire, l’entreprise donne à son employé l’équivalent de celui-ci en voiture de fonction. De ce fait, le salarié va être taxé sur une base beaucoup plus faible — à 9 ou 12 %, ou à 30 ou 40 % — que sur un salaire qui, lui, est taxé à 100 %. On a inclus un autre élément dans le calcul : l’amortissement du véhicule de société. Comme celui-ci est considéré légalement comme une charge, l’entreprise peut déduire son coût de son résultat fiscal grâce aux règles d’amortissement, et donc bénéficier d’une baisse d’impôt sur les sociétés. Là encore, il s’agit d’une sorte de niche fiscale.
Selon nos calculs, la conjonction de ces deux mécanismes engendre chaque année une perte de 4 milliards d’euros pour la Sécurité sociale et l’État. (...)
Le Royaume-Uni a changé ses règles de fiscalité sur les voitures de fonction en 2021. Depuis, la part de marché de l’électrique sur les voitures d’entreprise a fortement augmenté. Dans tous les pays qui ont réussi à organiser une transition rapide de leurs entreprises vers l’électrique, on retrouve soit des subventions ou une fiscalité très favorable à l’électrique ou, à l’inverse, des taxes qui ont pesé plus fortement sur les thermiques d’entreprise. Les sociétés organisent la transition quand elles commencent à payer trop cher. (...)