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Outsiderlantd/Dana Hilliot
Notes rapides sur le précariat
#precariat #neoliberalisme
Article mis en ligne le 18 août 2024
dernière modification le 14 août 2024

La précarité c’est le transfert du risque des classes aisées vers les classes les plus pauvres.
Autrement dit, la “précarité” est toujours l’effet d’une précarisation, c’est-à-à-dire d’une série d’actes quasiment toujours délibérés. Quand il s’agit de la précarité économique, d’une « politique de précarisation ».

Autrement dit, la “précarité” est toujours l’effet d’une précarisation, c’est-à-à-dire d’une série d’actes quasiment toujours délibérés. Quand il s’agit de la précarité économique, d’une « politique de précarisation ». (c’est-à-dire d’un transfert de risque. Logique bien connue des compagnies qui investissent dans les zones extractivistes d’un pays tiers : les États hôtes, pour séduire les investisseurs étrangers, minimisent les risques pour les compagnies, en les transférant sur l’État lui-même, c’est-à-dire les citoyens – par exemple en promettant aux investisseurs les plus bas salaires, des exemptions de charges sociales, des subventions prises sur des budgets qui auraient pu servir à d’autres fins, etc.)

Naturaliser le précariat (voire le “psychologiser”, tendance qu’on observe à droite comme à gauche, comme s’il était naturel, dans « toute société », qu’il y ait des populations condamnées à la précarité, que des gens luttent pour leur survie pendant que d’autres jouissent d’une sécurité garantie par l’État), c’est passer sous silence les politiques de fabrication du précariat.

Cette fabrication du précariat va de pair avec des politiques de sécurisation des classes les plus aisées, c’est-à-dire visant à minimiser pour elles les risques de perdre leur monde (...)

À l’horizon de la catastrophe climatique, considérée par les néolibéraux comme une “crise”, autrement dit, une opportunité pour le business, et non pas comme une catastrophe, il n’est pas étonnant que le processus d’accaparement des richesses de la part des classes les plus aisées, orchestrée par les gouvernements, s’accélère : on assiste bien à la mise en place d’une stratégie sécessionniste (« l’extractivisme total » d’Alexander Dunbar) d’un : « on prend tout et après nous le déluge ».

La prospérité des uns dépend de la précarisation des autres. Dit autrement, les populations précarisées finiront par n’habiter que des « zones de sacrifice » – des territoires d’extraction, de production, des zones toxiques, dévastées, des zones de guerre. D’une certaine manière, la bande de Gaza annonce le futur d’une part croissante de la population mondiale.

Considérer ce tableau comme une dystopie future, c’est oublier qu’il en est ainsi finalement depuis l’extension de la géographie et de l’histoire coloniale, c’est oublier ce que les populations des pays colonisés ont vécu durant plusieurs siècles. (...)

FABRICATION DU PRÉCARIAT

Le processus de destruction de ce qui reste des politiques sociales dans ce pays par les gouvernements qui se succèdent depuis, disons, Alain Juppé – Sarkozy et Hollande ont fait leur part, et sous Macron, la réalisation de l’idéal néolibéral est en voie d’achèvement –, ce processus se déploie de manière relativement lente : ce n’est pas à la manière de coup de force tel qu’on a pu le voir ailleurs. Un Milei par exemple, en Argentine, est beaucoup plus brutal qu’un Macron.

Les mesures de démantèlement des politiques sociales (c’est-à-dire tout ce qui se rapporte à l’amélioration de la vie quotidienne des gens, ce qu’on appelle les « services publics », y compris le soutien économique des perdants du capitalisme), ont été promulguées de la manière progressive, chaque année étant marquée une nouvelle dégradation – souvent peu spectaculaire en soi. (...)

Plus que jamais, en régime néolibéral, la loi est au service du capital : elle est conservatrice, défend la propriété (contre les biens communs), confirme et accentue les inégalités économiques. (...)

Le précariat résulte de l’atomisation des travailleurs, et de leur transformation en individus uniquement préoccupés de maximiser leur intérêt au mépris de toute considération éthique (et donc de projet collectif), et l’acceptation (plus ou moins contrainte) d’un régime de concurrence pour l’existence, dont les performances sont évaluées en permanence par un dispositif de surveillance généralisé, et qui, s’ils échouent (et comment pourrait-il ne pas échouer ?), est soumis à la stigmatisation et l’humiliation en tant que sujet qui ne doit son échec qu’à lui-même, etc.

Ce précariat ne tombe pas du ciel, n’est certainement pas le fruit d’une évolution « naturelle » et irrésistible du monde du travail : il a été délibérément fabriqué par les régimes au pouvoir pour le bien des entreprises transnationales à la recherche de bas salaire et de main d’œuvre corvéable à merci après les périodes décoloniales (...)

Ce qui a totalement été perdu de vue, c’est l’abandon, depuis au moins une quinzaine d’années, si ce n’est plus, de tout idéal de progrès social – c’est-à-dire l’amélioration de la vie quotidienne des gens. Au contraire, ce que promeut le néolibéralisme (partout dans le monde), c’est l’incertitude. Ce qu’il instille dans les consciences des populations les moins aisées, c’est l’angoisse. Et, logiquement, ce qu’on récolte ainsi, c’est la montée en puissance des régimes autoritaires, voire fascisants. (...)

L’EMPÊCHEMENT DES SUBLATERNES

La fluidité, l’existence facilitée, dont jouissent les classes les plus aisées des centres urbains – dont la smartcity est le modèle utopique en voie de réalisation, se paye par la surveillance technologique généralisée dont font l’objet les subalternes qui continuent, bon an mal an, de hanter ces milieux de vie optimisés, et la manière dont, au contraire, leur existence à eux se trouvent en permanence empêchée, embarrassée, empêtrée dans les filets kafkaïens de la bureaucratie. Aux subalternes, il faut toujours montrer « patte blanche » (et la couleur ici n’est pas anodine). La forme exemplaire de cette vie qui ne va pas de soi, cette présence dérangeante et pourtant nécessaire (car leur hyper-activité et leur bas salaire sont la condition de la vie confortable des classes aisées), c’est l’injonction faire aux migrants et aux réfugiés de justifier leur présence, jusqu’à faire la preuve encore et encore et ad nauseam des violences subies dans leur existence antérieure. Par extension, toutes les classes pauvres sont soumises à ce registre de la justification de l’existence (l’accès aux “droits” sociaux par exemple est conditionné par l’exposition administrative de sa biographie – parfois jusqu’aux épisodes les plus intimes). C’est précisément sur ce régime de surveillance et de contrôle des subalternes que reposent la fluidité et la facilité de l’existence des classes urbaines aisées. (...)

comme ces précariats ne sont plus aussi “gouvernables”, que la situation géopolitique est pour le moins incertaine, que ces dépendances économiques ont montré leur limite, les états occidentaux fabriquent à domicile pour ainsi dire “une main d’œuvre corvéable à merci” susceptible de se substituer (en partie) à la main d’œuvre des pays du sud.

Mais il ne faut surtout pas que ce précariat devienne un “prolétariat” (c’est-à-dire une classe qui se reconnaîtrait “collectivement”, susceptible de résister et de revendiquer des droits etc..). D’ailleurs, dans les zones portuaires de production chinoise, la caractéristique de ce précariat, c’est qu’il ne jouissait pas de droits civiques, pas de couverture sociale etc.. Et c’est parce que les ouvriers et les ouvrières ont fini par multiplié ces dernières années les grèves et les actions de revendication (et obtenir ça et là certains droits) que les compagnies transnationales (bonjour Apple !!) tendent à se détourner progressivement de ces zones de production, allant voir en Inde par exemple, ou ailleurs, et pourquoi pas en Europe ?? Il leur faut des salaires les plus bas possible, une productivité la plus élevée possible, des travailleurs interchangeables et jetables, qui n’ont pas d’autres choix, n’ayant aucun avenir, que d’accepter les conditions de travail proposée. C’est comme ça qu’on fait du profit. (...)

SIMPLIFIER/COMPLIQUER

Le gouvernement déborde de promesses pour simplifier la vie des entreprises, fluidifier la mobilité quotidienne des urbains des classes aisées, faciliter l’existence des gagnants du néolibéralisme..

et dans le même temps, il fait tout ce qu’il peut pour entraver, compliquer, ralentir, embarrasser, piéger, l’existence des précaires, des plus pauvres, des étrangers, des migrants, lesquels croulent et étouffent sous les dossiers administratifs, des documents rédigés en langage abscons, des pages et des pages à remplir, des preuves à fournir, si vous êtes au RSA ou demandeur d’asile, vous savez de quoi je parle.

Et ces deux mouvements inverses dépendent l’un de l’autre (...)