Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Didier Dubasque
Noyés sous les écrits, les travailleurs sociaux peuvent-il donner du sens à leur travail ?
#travailsocial #bureaucratie
Article mis en ligne le 11 avril 2024
dernière modification le 9 avril 2024

Les travailleurs sociaux, qu’ils soient assistants de service social, éducateurs spécialisés ou conseillers en économie sociale et familiale, sont confrontés à une charge administrative toujours plus lourde qui les éloigne du cœur de leur métier.

L’accompagnement direct des personnes vulnérables voit son temps réduit par le temps passé devant des écrans. Entre le remplissage de formulaires, la saisie d’informations dans des logiciels et les reportings demandés, les professionnels dédient une part croissante de leurs activités derrière un bureau plutôt que sur le terrain. Une situation qui inquiète les associations et les syndicats, qui craignent pour la qualité de l’accompagnement.

La bureaucratie empêche les travailleurs sociaux de faire leur vrai travail (...)

Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, dénonce cette réalité dans une tribune pertinente publiée par le Média Social. Il dénonce plus précisément les « cocheurs de cases ». Il est fait référence aux travaux de l’anthropologue David Graeber. Il avait théorisé ce concept comme étant un des cinq types de « bullshit jobs » qu’il a identifiés. Cette pratique consiste à produire une multitude de documents administratifs dans le seul but de prouver la conformité aux exigences réglementaires, sans pour autant avoir un impact réel sur les pratiques.

Dans le secteur social, la production de ces documents administratifs occupe une part importante du temps des professionnels. C’est à se demander si certains ne s’y complaisent pas. Il faut dire, à leur décharge, que s’ils ne remplissent pas les imprimées de la bonne façon, ce sont les usagers qui en pâtissent. Cette situation transforme les travailleurs sociaux en de simples scribes, les empêchant de se consacrer pleinement à leur mission première.

Cette réalité est aussi dénoncée dans le Livre Blanc du Travail Social. Pour autant, rien ne change vraiment tant qu’aucune législation n’aura imposée des limites à ces pratiques chronophages. Finalement, cette réalité est bien documentée, mais personne ne semble prendre des moyens pour que cela change.

Des pratiques qui ont des conséquences (...)

Finalement, ces différents éléments concourent à dégrader la qualité de l’accompagnement social proposé aux personnes vulnérables. C’est toute la qualité de l’action sociale qui est impactée.

Les travailleurs sociaux en lutte contre la bureaucratie… au Québec (...)

Quand le réel s’efface derrière les dossiers des travailleurs sociaux.

Alors que les travailleurs sociaux sont au cœur de l’accompagnement des personnes vulnérables, une question se pose : dans quelle mesure nos écrits reflètent-ils fidèlement la réalité vécue par leurs bénéficiaires ? L’écart entre le réel et sa transcription dans les dossiers peut être important. Ce que le travailleur social décrit n’est bien souvent qu’une vision partielle, influencée par sa propre subjectivité et les contraintes du système dans lequel il évolue.

En effet, nous sommes tous confrontés à de multiples filtres qui transforment inévitablement la façon dont nous retranscrivons les situations. (...)

Une fois que la situation est consignée dans un dossier, elle subit encore le prisme de la bureaucratie, avec ses catégories et ses procédures établies. (...)

Que faire alors ?

La désaffection des métiers du travail social du fait qu’il perde son sens est une réalité qui ne peut plus être niée. Pourtant, tout semble fonctionner comme si rien ne pouvait changer. Et si nous commencions par limiter le nombre des écrits à produire ?

Un changement de culture organisationnelle est nécessaire pour que ces tâches bureaucratiques ne soient plus perçues comme une fin en soi. (...)

Il s’agit aussi de pouvoir négocier au sein des institutions. Nous apportons notre soutien aux camarades de Solidaires étudiant.es mis.es en cause, en défense de nos libertés syndicales et politiques, et du droit d’exprimer des positions anticoloniales en France. (...)

Ensuite, il faut pouvoir clarifier ce qui dans ces écrits est utile, nécessaire ou ne sert à rien. (...)

En fait, écrire rassure aussi bien le rédacteur que celui qui reçoit l’écrit. (...)

quelques pistes (...)

Lire aussi :

 (Le Media Social)
Travail social : halte aux cocheurs de cases !

En période de pénurie de travailleurs sociaux et de difficultés en tout genre, perdre son temps à produire des documents qui ne servent qu’à cocher les cases d’un référentiel, sans modifier les pratiques, devient insupportable pour les professionnels, observe dans cette tribune libre*, Jean-Luc Gautherot, ingénieur social. (...)

Dans le travail social, la liste de ces papiers est longue : projet d’établissement ou de service (à réécrire suite au décret du 29 février 2024), documents divers et variés à produire au fil des accompagnements pour prouver sa conformité aux critères du référentiel d’évaluation des ESSMS. Idem pour obtenir la certification Qualiopi pour les établissements de formation en travail social (EFTS), ou encore pour le projet personnalisé, le contrat de séjour, le livret d’accueil, etc.
Le papier n’est pas le réel

Avec le temps, les administrations ont fini par confondre les papiers avec le réel des pratiques, comme l’indique avec justesse David Graeber : « la réalité aux yeux de l’administration, devient celle qui existe sur le papier, tandis que la réalité humaine qu’elle est censée décrire est traitée, au mieux, comme un aspect secondaire ».

Autrement dit, dans l’esprit bureaucratique, une organisation conforme n’est pas une organisation qui a réellement changé ses pratiques (la bureaucratie n’a pas les moyens de le vérifier), mais une organisation qui fournit les papiers au bon format, au bon contenu, au bon moment.

Quand on demande aux travailleurs sociaux d’une organisation de produire des papiers qui prouvent la conformité de leur organisation aux normes, et que cette production n’a aucun impact sur leurs pratiques, ils deviennent alors des cocheurs de cases.
Les cocheurs de cases de David Graeber

Le concept de cocheurs de cases a été théorisé par David Graeber dans son célèbre ouvrage « Bullshit jobs ». (...)

Perdre son temps quand on en manque déjà

Revenons à Graeber : « le plus triste, c’est qu’en général les cocheurs de cases sont tout à fait conscients que leur job n’aide en rien à la réalisation du but affiché, pire, il lui nuit parce qu’il en détourne du temps et des ressources ». Le temps consacré à produire les papiers, dont le véritable but est de montrer sa conformité pour pouvoir continuer à être financé, est autant de temps qu’on ne consacre pas à sa véritable activité.

L’activité de cocheur de cases ne constitue pas forcément l’essentiel des tâches des travailleurs sociaux de terrain. Mais, dans une période de pénurie de salariés, de difficultés en tout genre pour les professionnels, perdre son temps à produire des documents qui ne servent qu’à cocher une case d’un référentiel, mais qui n’ont aucun sens pour sa propre pratique, devient insupportable.

Alors que faire ? (...)

aujourd’hui, on ne peut pas ne pas produire ces documents sous peine de ne plus être autorisé à fonctionner. Une option un peu subversive existe.

C’est celle qui consiste à prendre ces documents pour ce qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire de pures contraintes bureaucratiques, souvent absurdes, dont il faut se débarrasser le plus vite possible, en y passant le moins de temps possible et sans chercher à y trouver le moindre sens.

On limite ainsi l’activité de cocheurs de cases des travailleurs sociaux qui ont autre chose à faire de plus primordial : accompagner les personnes.