
Malgré la guerre en Ukraine, la France continue d’acheter d’énormes quantités d’uranium à l’entreprise d’État Rosatom. Peut-on prétendre soutenir Kyiv tout en versant plusieurs centaines de millions d’euros par an à son ennemi ? Des députés appellent à en finir.
La France devrait profiter du Conseil européen, jeudi 21 mars, pour réaffirmer son indéfectible soutien à l’Ukraine « aussi longtemps qu’il le faudra et aussi intensément que nécessaire », fait savoir l’Élysée. Le même jour, elle paradera au sommet sur la relance du nucléaire que le gouvernement belge et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) organisent à Bruxelles. Avec la plus grosse délégation du continent, Paris veut y promouvoir l’atome au nom du climat et de la souveraineté énergétique.
Mais il y a un hic : la France continue d’importer chaque année d’énormes quantités d’uranium russe, remplissant ainsi les caisses de l’entreprise d’État Rosatom. C’est l’un des secrets les plus gênants du nucléaire français alors que la guerre en Ukraine dure depuis plus de deux ans et que Volodymyr Zelensky vient de protester contre « les pays qui sont [leurs] partenaires, mais qui financièrement sont les partenaires de la Russie dans cette guerre ».
Le président ukrainien appelle l’Union européenne à renforcer ses sanctions contre la Russie, et à y intégrer les dirigeants de Rosatom, qui ont pris la direction de la centrale nucléaire de Zaporijjia – l’AIEA y a documenté de nombreuses atteintes aux droits humains infligées au personnel ukrainien. (...)
en 2022, la France avait déjà acheté à la Russie 312 tonnes d’uranium enrichi, pour un montant de 358 millions d’euros, comme l’avait découvert Greenpeace, qui avait analysé les données des douanes françaises sur plusieurs années. Résultat : « Alors que des années 2000 à 2021, la part des importations d’uranium enrichi de la France en provenance de Russie s’élevait à 41 %, elle a bondi à 57 % en 2022. » Avant de légèrement redescendre en 2023, autour de 54 %.
Autrement dit : « En 2022, en pleine invasion de l’Ukraine, les importations d’uranium enrichi russe ont quasiment doublé par rapport à leur taux annuel ces 20 dernières années », écrit l’ONG écologiste dans son rapport. (...)
« Le commerce continue avec Rosatom, l’entreprise d’État qui domine tout le nucléaire russe, malgré la guerre en Ukraine, comme si la Russie n’occupait pas la centrale de Zaporijjia, et ne menaçait pas l’Europe d’une catastrophe nucléaire. C’est inadmissible. » (...)
« On continue de nous berner avec la souveraineté énergétique alors qu’une bonne partie de notre uranium vient de Russie, c’est scandaleux, proteste Maxime Laisney, député LFI et chef de file de son groupe sur le nucléaire. Quand on veut affaiblir Poutine, on arrête de passer par lui pour se fournir en uranium. » (...)
Par ailleurs, la France importe aussi de l’uranium de retraitement enrichi dans une usine secrète de Sibérie à Seversk, la seule au monde disposant de la technologie nécessaire pour cette action. (...)
pourquoi continuer d’acheter autant d’uranium transformé à Rosatom ? L’ancienne ministre de l’énergie, Agnès Pannier-Runacher, y avait répondu devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, lors de l’examen de la loi d’accélération du nucléaire, en mars 2023. « EDF est liée par contrat avec une entreprise russe et la non-exécution de ce contrat apporterait plus d’argent à la Russie que son exécution minimale, avait-elle expliqué. Nous ne sommes pas idiots : nous donnons le minimum d’argent à la Russie. C’est aussi simple que cela. »
Idiote ou pas, un an après, la question du business as usual avec Moscou revient inévitablement, chargée du poids de la destruction d’un pays et de la mort de tant de ses habitantes et habitants.