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Mediapart
Ofer Cassif : « La majorité en Israël est indifférente ou dans le déni de la famine à Gaza »
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #famine
Article mis en ligne le 1er août 2025
dernière modification le 29 juillet 2025

Alors que les images de la famine à Gaza suscitent des condamnations dans le monde entier, elles n’émeuvent pas la majorité en Israël. Les médias et l’opposition restent largement complices du génocide que mène leur pays dans l’enclave, dénonce le député communiste israélien Ofer Cassif.

Ofer Cassif est un député communiste israélien, seul Juif des cinq parlementaires élus sur la liste Hadash-Taal, alliance de deux partis de gauche arabes. Il vient d’être suspendu de la Knesset, le Parlement israélien, pour la troisième fois depuis le 7-Octobre, notamment parce qu’il dénonce avec persévérance le génocide en cours à Gaza et le nettoyage ethnique en Cisjordanie.

Voix minoritaire dans le paysage politique israélien, ce docteur en philosophie politique analyse l’apathie de sa société face aux crimes de guerre commis en son nom. Et dénonce la complicité d’une bonne partie de l’opposition et des médias.

Mediapart : Le président français, Emmanuel Macron, a promis de reconnaître l’État de Palestine lors de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre. Comment jugez-vous cette annonce et comment a-t-elle été accueillie en Israël ?

Ofer Cassif : Bien sûr, je salue la déclaration de M. Macron, mais assez de paroles, il est temps d’agir ! Reconnaissez maintenant ! Le gouvernement israélien, et malheureusement une bonne partie des dirigeants de l’opposition, pleurnichent à nouveau, en utilisant cette mauvaise excuse selon laquelle c’est une récompense pour le terrorisme. Mais ce n’est pas surprenant, les criminels accusent les autres de les persécuter et de mentir… Quant au public israélien, il n’a pas vraiment réagi parce qu’il y a déjà eu des déclarations similaires [de la part d’Emmanuel Macron – ndlr], donc elles n’ont plus aucun effet. Il faut agir ! (...)

Malheureusement, il semble que la majorité en Israël soit indifférente ou dans le déni de la famine là-bas. Ils affirment que s’il y a une famine, elle est une conséquence de la guerre et donc que c’est la faute des Palestiniens ou, pour être plus précis, du Hamas. Certains vont même jusqu’à s’en réjouir. Une partie de la société s’en indigne aussi, mais la majorité est juste apathique.

La responsabilité, à mon sens, incombe aux politiciens. Et en premier lieu au gouvernement, au premier ministre [Benyamin Nétanyahou – ndlr] et à la coalition, mais aussi à une partie de l’opposition qui a incité à la haine contre les Palestiniens, et justifie chaque atrocité commise contre eux par Israël.

Officiellement, il y a 52 députés dans l’opposition [sur 120 – ndlr]. Nous sommes cinq à nous être opposés, dès le début, à la fois aux massacres commis par le Hamas et à ceux d’Israël perpétrés depuis le 7-Octobre. Le parti islamique [Ra’am – ndlr] a fini par nous rejoindre. Les travaillistes, il y a quelques mois, ont commencé à s’exprimer. Ils ne parlent pas de crimes de guerre ni de génocide, mais de « préjudices » causés à des civils innocents à Gaza.

Le reste de l’opposition – 38 députés – appelle à libérer les otages mais soutient en général tout ce que fait le gouvernement à Gaza ainsi qu’en Cisjordanie, où il y a un nettoyage ethnique en cours. Donc, en pratique, il n’y a pas d’opposition ! Au sein du Parlement, chaque fois que nous tentons d’attirer l’attention sur les crimes de guerre israéliens, dont la famine, on nous fait taire. (...)

Dès octobre 2023, j’ai été suspendu quarante-cinq jours juste après le massacre du Hamas car j’ai dit, dans une interview, que le gouvernement d’Israël allait utiliser la catastrophe provoquée par le Hamas comme prétexte pour justifier l’application du plan dit « décisif » présenté par Bezalel Smotrich en 2017, qui est un plan génocidaire.

Le « plan décisif » repose sur trois éléments essentiels : Israël doit annexer les territoires palestiniens occupés sans accorder de droits fondamentaux aux Palestiniens – instaurant, par définition, un régime d’apartheid. Ensuite, les Palestiniens qui refuseront d’accepter leur sort seront expulsés de leur terre natale. Enfin – ce dernier point était plutôt implicite mais néanmoins très clair et brutal : les Palestiniens qui résisteront au nouveau régime d’apartheid seront tués.

Nous voyons aujourd’hui que c’est ce que le gouvernement met en place malheureusement…

Début 2024, il y a aussi eu une tentative pour me destituer, car j’avais signé une pétition soutenant la plainte de l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice. Ils n’ont pas réussi, il fallait 90 votes, ils en ont réuni 86.

J’ai ensuite été suspendu pendant six mois par le comité d’éthique du Parlement, et maintenant je vais être à nouveau suspendu deux mois, d’octobre à décembre prochain (...)

Une guerre, ça veut dire qu’il y a une sorte de symétrie ; or, il n’y a aucune symétrie. La plupart des manifestants demandent la fin de la guerre principalement pour sauver les otages et les soldats qui meurent quasiment quotidiennement. Et la plupart d’entre eux ne disent quasiment rien à propos des Palestiniens.

Cependant, j’observe un changement. La minorité qui parle des souffrances des Palestiniens augmente. C’est peu, c’est trop tard, mais il y a un frémissement. De plus en plus de gens commencent à comprendre qu’on ne peut pas vraiment séparer le sort des otages et des soldats israéliens de celui des Palestiniens de Gaza. La situation est tellement brutale, tellement horrible et désastreuse, qu’il est devenu de plus en plus difficile de l’ignorer.

Je blâme principalement les médias : à part le journal Haaretz et quelques personnes à la télévision et à la radio, personne ne parle de Gaza et de ce qui s’y passe, et on ne voit toujours pas d’images de Gaza. Mais il y a de plus en plus de journalistes qui évoquent la famine et les gens pris pour cible alors qu’ils vont chercher de l’aide humanitaire. Tous ces éléments combinés ont créé un glissement dans l’opinion, mais ce n’est pas satisfaisant. (...)

De mon point de vue, Israël n’a jamais été une démocratie. C’est une « ethnocratie », car Israël a été construite sur une suprématie ethnique des Juifs. Or, la valeur cardinale d’une démocratie, ce n’est pas la liberté mais l’égalité. Pendant des décennies, la suprématie était politique, mais ces dernières années, particulièrement sous Nétanyahou, elle s’est transformée en une vraie suprématie raciale.

D’un autre côté, Israël n’a jamais été une vraie dictature. Il a une structure non démocratique avec quelques éléments démocratiques. Ces derniers sont progressivement détruits par ce gouvernement, avec la coopération, comme je l’ai dit plus tôt, de nombreux éléments de l’opposition. (...)

Samedi [19 juillet – ndlr], j’ai été presque lynché avec l’un de mes amis, notre tête de liste, le député Ayman Odeh. Nous étions ensemble dans une ville pas loin de là où je vis, à une manifestation contre le génocide. En plus du génocide à Gaza et du nettoyage ethnique en Cisjordanie, il existe un véritable fascisme violent au sein même d’Israël, y compris une légitimation et une normalisation de la violence meurtrière contre les dissidents, en particulier les Arabes.

Je reçois des menaces quotidiennement, notamment sur les réseaux sociaux. J’ai été attaqué chez mon coiffeur il y a trois ans, ou une autre fois quand je suis allé faire des courses. Je suis prêt à payer ce prix parce que ma lutte est cruciale. (...)

Dans ma famille, des deux côtés, beaucoup ont été tués par les nazis. Cela m’a rendu très sensible aux discriminations raciales et aux persécutions. Je vois un aspect juif dans mon combat.

Sur le court terme, je suis très pessimiste (...)

On voit déjà, par exemple, que le taux de suicide parmi les soldats ayant servi à Gaza est terriblement élevé. Ils doivent être punis pour les crimes qu’ils ont pu commettre, mais en même temps le bourreau est parfois aussi une victime. (...)

Sur le plus long terme, je suis très optimiste, car je crois que de plus en plus de personnes finiront par nous écouter. Elles n’auront plus d’autre choix et cela commencera à guérir les blessures de la société. Mais cela prendra du temps et je ne sais pas si je serai encore là pour le voir.

La société israélienne a besoin de guérir. Et cela nécessite de mettre fin à l’occupation et de libérer le peuple palestinien. Cela viendra, il n’y a pas d’autre choix. Quand le génocide à Gaza aura pris fin, je pense que la communauté internationale – ou du moins les gouvernements qui ont soutenu ce génocide de par leurs actions – devra aussi se regarder en face.

Amnesty International
Pétition Génocide à Gaza : la France doit mettre fin à l’impunité d’Israël  !

Pétition>Assemblée Nationale : Demande de sanctions à l’encontre de l’État d’Israël et de ses dirigeants en raison de violations graves du droit international