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Mediapart
Olivier De Schutter : « L’extrême droite progresse là où les gens se sentent abandonnés »
#EtatSocial #concurrence #extremedroite
Article mis en ligne le 30 octobre 2025
dernière modification le 24 octobre 2025

Mercredi 22 octobre, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, Olivier De Schutter, présente son rapport à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York. Son constat y est sans appel : l’affaiblissement de l’État social favorise la progression électorale des populismes d’extrême droite.

Une alerte qui résonne fortement en France, où les parlementaires examinent en ce moment même le budget 2026 à l’Assemblée nationale, un budget tout entier tourné vers la réduction de la dette publique, et qui laisse craindre un désinvestissement financier massif dans la lutte contre la pauvreté, à travers par exemple le gel des prestations sociales et des aides pour le logement.

Avec force détails, Olivier De Schutter dévoile pourtant les conséquences concrètes des réformes de la protection sociale conduites au nom de l’austérité. Elles sont inefficaces et dangereuses, comme l’avait déjà expliqué, l’an passé, le rapporteur dans ce courrier adressé au gouvernement français sur la réforme du RSA. Et elles nourrissent le discours de l’extrême droite qui parvient à exploiter dans les urnes le mécontentement des personnes se sentant oubliées par les politiques publiques.

L’expert souligne aussi qu’une fois arrivé·es au pouvoir, ces populistes d’extrême droite veillent, à rebours de leurs discours électoraux, à maintenir les privilèges des élites, tout en démantelant les dispositifs de soutien aux plus démuni·es, aggravant la pauvreté, comme c’est le cas en Argentine ou aux États-Unis. (...)

Olivier De Schutter : Le point de départ de cette étude provient des consultations que j’ai menées au lendemain des élections européennes de juin 2024, qui ont vu cette montée terrible partout de l’extrême droite. Les personnes rencontrées s’ouvraient sur leur rapport à l’État-providence. Il était frappant de voir à quel point elles exprimaient une colère et une perte de confiance à l’égard des pouvoirs publics et leur capacité à comprendre leur situation et à les soutenir.

Cette colère doit trouver un débouché. La documentation disponible met en évidence que l’extrême droite progresse là où les gens se sentent abandonnés, notamment dans les zones rurales, avec moins de services publics, une faible connexion à Internet ou des administrations absentes. Ce phénomène n’est pas circonscrit à la France et se retrouve dans la géographie du vote pour Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne ou Reform UK au Royaume-Uni, par exemple. (...)

Les réformes de l’État social sont caractérisées par une fragilisation des parcours individuels depuis vingt-cinq ans. Il faut prouver qu’on recherche du travail à tout instant. Cela instille une concurrence entre les personnes en quête de cette ressource rare qu’est l’emploi et dans leur obtention de la protection sociale. Ce discours-là me paraît s’être imposé ainsi que cette peur du déclassement social. (...)

Les électeurs de l’extrême droite ne sont pas toujours des personnes qui subissent la grande pauvreté. Ils se sentent menacés dans les privilèges qu’ils ont acquis jusqu’à présent par l’étranger ou le « cas soc’ », comme cela peut être parfois dit en France. C’est-à-dire qu’ils craignent de perdre leur statut dans une société de plus en plus perçue comme un lieu de concurrence, où l’autre est considéré comme une menace plutôt qu’un allié potentiel. Au fond, c’est la classe moyenne fragilisée, qui concentre ce discours de la colère et du ressentiment à l’égard des partis politiques, qui est tentée par le vote d’extrême droite, comme le montrent les études. (...)

le paramètre décisif dans le vote en faveur de l’extrême droite n’est pas la pauvreté ou le niveau de vie moyen, mais les inégalités et « l’insécurité sociale », comme l’appelait jadis le sociologue Robert Castel. C’est pour cette raison que les personnalités politiques portent une responsabilité importante lorsqu’elles tiennent un discours clivant et polarisant autour des prestations sociales, par exemple. En assénant que les aides, comme le RSA en France ou les allocations chômage, se méritent et qu’il faut en être digne, les élus créent une peur. De fait, les personnes vont se tourner vers des politiques qui les rassurent sur ce point ou prétendent les protéger. (...)

La surveillance crée une insécurité et nourrit cette défiance à l’égard des services sociaux. C’est aussi une forme de maltraitance institutionnelle dénoncée de manière patente lors des consultations que j’ai menées pour ce rapport.

La maltraitance institutionnelle, c’est ce sentiment de n’être pas écouté et de n’être pas soutenu par les services sociaux ou les administrations publiques. On impute ensuite aux hommes et femmes politiques la responsabilité de cette insécurité. Et de fait, l’extrême droite prospère sur cette fragilisation des personnes.

L’extrême droite se pose, elle, en défenseuse de ces individus…

Les populistes de la droite radicale se présentent comme défenseurs de « l’homme de la rue », comme on dirait en France. Ils expliquent qu’ils peuvent le protéger de cette élite qui évolue sous les ors des palais. Le populisme se caractérise par cette volonté de faire valoir les revendications des gens du peuple. Bien sûr, à ce stade, nous pouvons nous interroger sur la raison pour laquelle ces personnes sont davantage attirées par l’extrême droite plutôt que par la gauche ou l’extrême gauche.

Mon hypothèse est que cela tient au rapport à l’autre et au positionnement de ces mouvements vis-à-vis de l’immigration. L’extrême droite porte des discours très pernicieux disant que la société doit se protéger contre d’éventuels profiteurs qui ne méritent pas d’être aidés parce qu’ils ne seraient « pas d’ici ». (...)

Les services publics ne sont pas perçus comme bénéficiant à tous et toutes dans des zones plus reculées et périphériques des grandes villes. L’augmentation des prix du logement conduit à ce que toutes les personnes précarisées sont obligées de se domicilier à l’extérieur des centres-villes. Ce qui accroît ce sentiment de déclassement.

Êtes-vous inquiet de la manière dont les États traitent les personnes pauvres ?

Oui, bien sûr, parce que derrière tout ce que j’ai décrit ici, il y a ce qu’on appelle la « pauvrophobie », c’est-à-dire le sentiment que les personnes en pauvreté ne méritent pas le respect. Au contraire, elles reçoivent du mépris, parce qu’elles n’ont pas fait les bonnes études ou parce qu’elles sont incapables d’aller aux rendez-vous pour trouver du travail.

Malheureusement, quand j’ai conduit mes consultations, j’ai constamment reçu des retours de personnes qui témoignaient de ce mépris qui les touche. Il est aussi frappant que les personnes qui se sentent fragilisées mais n’ont pas encore basculé dans la pauvreté s’approprient le discours sur les « cas soc’ ». Cette polarisation, nourrie par les discours politiques populistes, m’inquiète tout autant que leurs promesses de s’occuper des personnes pauvres, alors que leurs programmes ne s’inscrivent pas dans cette lignée. (...)