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Mediapart
« On a tout perdu mais personne n’est venu nous aider » : après le cyclone, les habitants de Mayotte en mode survie
#Mayotte #cyclone #migrants #immigration #solidarites
Article mis en ligne le 20 décembre 2024

Trouver à boire et à manger rythme désormais le quotidien des Mahorais. Certains tentent déjà de reconstruire, quand d’autres attendent les secours depuis des jours. Et dans les bidonvilles rasés par le cyclone, selon les mots du préfet lui-même, « personne n’est passé ».

Petite-Terre (Mayotte).– « Il y a de l’eau. » Lampe frontale allumée, seau en plastique à la main, Lucas grimpe deux à deux les escaliers de son appartement pour avertir ses colocataires. Stupéfaction générale. Ni une, ni deux, il faut faire des réserves. Et prévenir le voisinage qui ne tarde pas à arriver avec des bidons sous le bras. Pour la première fois depuis six jours, les robinets qui se situent dans la cour de ce kinésithérapeute, arrivé sur l’île il y a deux ans, déversent le précieux liquide.

Moussa, un voisin, place un bidon de 10 litres sous le débit et repart rapidement chercher des bouteilles en plastique vides, en s’aidant de son téléphone pour s’éclairer. Ces derniers jours, il se déplaçait jusqu’au robinet public, à plusieurs centaines de mètres, pour se réapprovisionner. Cet habitant de Labattoir, en Petite-Terre, a vu sa maison dévastée par le cyclone Chido qui a frappé Mayotte samedi 14 décembre. De ses affaires personnelles, il ne reste presque rien. « Tout a été saccagé », confie celui qui, comme ses voisins, vit sans eau et sans électricité depuis.

Ces derniers jours, Moussa tente de reconstruire sa case, à côté de quelques matelas en mousse entassés, d’un frigo et des vêtements de sa famille amassés dans un bac en plastique. Dès l’aube, marteau et clous en main, il rassemble les tôles que le cyclone a froissées ou déchiquetées. « Les coups de marteau sur la tôle rythment notre quotidien depuis samedi », confie Lucas, qui n’hésite pas à leur donner un coup de main. (...)

Ginebra, sa colocataire d’origine espagnole, s’est, elle, improvisée infirmière. (...)

Un retour de l’eau (très) progressif

Dans ce quartier, comme quasiment partout à Mayotte, les rafales de vent ont atteint près de 230 km/h et tout dévasté. La végétation luxuriante a laissé place à de la terre battue. Seuls quelques palmiers, aux feuilles dirigées vers le sol, tiennent encore debout. Le long de la route, les palissades et les portails qui cachaient les habitations ont disparu. Des mélanges de branches, de métal et de débris s’entassent sur les trottoirs, là où les routes ont été dégagées. (...)

« J’ai l’impression d’être à Haïti, je revois les images de l’île dévastée par un tremblement de terre. Sauf que là, c’est chez moi », confie Lucie Deglise, orthophoniste à Kawéni, traumatisée par l’événement. Son appartement moderne n’a pas résisté non plus à la violence du cyclone. (...)

Le vent s’est calmé mais la vie reste suspendue. La priorité : trouver de l’eau et à manger. Selon les services de l’État, 50 % de l’eau sera rétablie dans les quarante-huit heures et 95 % dans les sept jours, mais ces prévisions ressemblent pour l’heure à un mirage face à l’étendue du chaos. En attendant, la débrouille et la solidarité dominent. Lucas et Ginebra hébergent les enfants du quartier qui ont tout perdu. (...)

la distribution alimentaire a d’ailleurs commencé, en Petite-Terre. Mais elle est réservée aux personnes en situation régulière. « Il faut une pièce d’identité pour récupérer un colis alimentaire, prévient Laura, professeure d’espagnol. Et le butin est maigre. Nous avons eu des boîtes de sardines, du thon en boîte, des raviolis et deux bouteilles d’eau par foyer. Moi je suis toute seule, mais pour les familles avec six enfants, c’est un peu juste », poursuit-elle. (...)

Les autorités ont annoncé que 20 tonnes de nourriture ont été envoyées en Petite-Terre. Soit à peine 1 kilo par personne pour les 30 000 habitant·es qui y vivent. « Et pas pour ceux qui en ont le plus besoin », s’agace Léo Biso, qui travaille sur l’île depuis quatre ans.

En Petite-Terre, seul un supermarché est actuellement ouvert. À 7 h 30 ce jeudi matin, une quinzaine de personnes patientent déjà avant l’ouverture prévue à 8 heures. « Les files d’attente devant les supermarchés sont interminables, ils font entrer les gens au compte-goutte (...)

Ici, impossible de payer par carte bancaire, faute de réseau. « On ne peut utiliser que du liquide », poursuit-elle. Mais l’île ne compte plus que sept distributeurs de billets en fonctionnement sur les soixante-douze existants et ils sont tous situés à Mamoudzou. (...)

Pour les habitant·es de la petite île, rejoindre la capitale s’apparente d’ailleurs au parcours du combattant. Les traversées ne se font qu’à bord d’une barge et seulement deux navires sont fonctionnels. « L’un d’eux est réservé aux secours », précisent les services de l’État. Quand l’autre n’accueille que des piétons.

Selon le ministère de l’intérieur, entre 100 et 150 conteneurs de nourriture et d’eau devraient également arriver à Mayotte ce week-end. « Toute la nourriture qu’on avait est fichue depuis le cyclone », confie Abdoul, qui a, lui aussi, perdu sa maison. « On s’entraide, mais d’ici trois, quatre jours on n’aura plus rien. Et personne ne vient nous aider, on ne voit personne », poursuit l’homme de 43 ans, assis à côté des débris de sa maison, sur les escaliers du voisin qui l’héberge. (...)

Sur l’île, le réseau téléphonique est toujours indisponible à 80 % et le réseau mobile couvre à peine 40 % du territoire. (...)

« Si on n’a rien à manger et à boire d’ici quelques jours, je crains le pire. On a déjà commencé à se faire piller et ça ne va pas aller en s’arrangeant », poursuit l’enseignante, inquiète comme beaucoup d’une hausse de l’insécurité et des tensions. « Les gens qui n’ont plus de banga [petite maison - ndlr] n’ont plus rien à perdre. Et ils veulent survivre », confie un fonctionnaire, souhaitant rester anonyme.

Le bilan humain inconnu des bidonvilles

Depuis le passage du cyclone Chido, le ministère de l’intérieur a annoncé le décès de trente-et-une personnes. Mais le bilan pourrait être beaucoup plus lourd. « On entend dire que les forces de l’ordre qui ont survolé Mayotte ont découvert des bidonvilles quasiment déserts », souligne Ginebra. Et les établissements scolaires, transformés en centres d’hébergement d’urgence, n’accueillent que quelques centaines de sinistré·es. (...)

Dans ces quartiers encore plus qu’ailleurs, les services de l’État n’ont pas, semble-t-il, remis les pieds. Interpellé par la députée mahoraise Estelle Youssouffa (Liot) à son arrivée jeudi à Mayotte, Emmanuel Macron lui-même a semblé découvrir la situation.

« On a une population clandestine qui est maintenant ensevelie sous les décombres, sous les tôles, dans les bidonvilles qui ont été rasés », décrit la parlementaire. « C’est vrai ? », a demandé le président. « Personne n’a pu aller dans les zones rasées », poursuit-elle, appuyée par le préfet François-Xavier Bieuville en personne. « Dans tous les quartiers informels en fait, pour l’instant on n’y est pas encore montés pour des raisons d’urgence sur les choses vitales », explique devant les caméras le haut fonctionnaire au président de la République. Certains de ces bidonvilles, comme l’immense Kawéni, sont pourtant en bordure de Mamoudzou, accessibles sans voiture.

Il semble toujours impossible, dans ces conditions, d’établir un bilan exhaustif. (...)

. « La saison des pluies va arriver, tout va être emporté, la misère sera encore plus grande et c’est une crise sanitaire qui nous pend au nez », estime le fonctionnaire cité plus haut, qui craint « que les pluies emportent les corps en décomposition et que les maladies se répandent ». Ce jeudi matin, peu de temps avant qu’Emmanuel Macron atterrisse à Mayotte, des pluies diluviennes se sont abattues sur l’île.

Sur place, le président de la République a promis un jour de deuil national lundi 23 décembre et surtout une « loi spéciale » pour faciliter la reconstruction de l’archipel. « On a su le faire pour organiser des Jeux olympiques [...], pour rebâtir Notre-Dame de Paris et donc on le fera pour rebâtir Mayotte », a-t-il ajouté, évoquant notamment la nécessité de pouvoir « déroger aux règles ». Des dérogations qui devraient aussi s’appliquer au domaine de l’immigration.

Lire aussi :

 (FranceTV Infos)
"Vous êtes contents d’être en France !" : l’échange tendu d’Emmanuel Macron avec des sinistrés mahorais

Au terme d’un nouvel échange avec des sinistrés mahorais critiquant à leur tour la gestion de la crise Chido, alors qu’ils n’ont toujours ni eau ni électricité, le président Emmanuel Macron a haussé le ton, agacé, rappelant aux habitants leur "chance" de se trouver sur un territoire français...

Pour ce déplacement à Mayotte, le président Emmanuel Macron souhaitait privilégier les échanges au plus près des sinistrés du cyclone Chido. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a été servi.

Interpellé à l’aéroport, au CHM ou encore dans les rues de Mamoudzou et des bidonvilles aux alentours, le chef de l’Etat n’a jamais évité le contact, mais lors d’une confrontation, jeudi soir, à Pamandzi, en Petite-Terre, il a fini par s’agacer, après avoir été interpellé par une Mahoraise critiquant à son tour la gestion de la crise.

Regardez l’arrivée d’Emmanuel Macron sous les huées à Pamandzi : (...)

Un échange suivi par les équipes de Mayotte La 1ère, mais aussi par le pool de journalistes couvrant le déplacement du président, et notamment les équipes du média Brut dont la vidéo fait le buzz sur les réseaux sociaux.

"Quels moyens vous allez nous donner ? Parce que là, jusqu’à présent, ma famille ne sait pas si je suis en vie ou si je suis morte ! Vous venez nous dire que tout va bien alors que tout va mal !", a lancé l’habitante dont le micro a ensuite été agrippé par le président, particulièrement remonté.
"N’opposez pas les gens, quelle que soit la couleur de peau !"

"J’ai passé la journée avec vous et depuis tout à l’heure, je m’égosille pour parler... Si quelqu’un m’a entendu dire que tout va bien, levez le doigt !", a rétorqué Emmanuel Macron. "Bon ben alors !"

"Vous avez vécu quelque chose de terrible, tout le monde se bat, quelle que soit la couleur de peau et n’opposez pas les gens ! ", a-t-il ajouté, alors que la population assiste, médusée, aux départs de fonctionnaires et de leurs proches sinistrés, alors qu’elle n’a, elle, pas la possibilité de quitter l’île dévastée, faute de vols commerciaux, l’aéroport étant toujours fermé. (...)

"N’opposez pas les gens, parce que sinon on est foutu !", a poursuivi le président. "Vous êtes contents d’être en France ! Si ce n’était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde !", a aussi lâché Emmanuel Macron, face à des habitants encore plus remontés. Aurait-il fait ce genre de remarques à des habitants d’un département de l’Hexagone qui auraient été victimes d’une telle catastrophe ?

"Il n’y a pas un endroit dans l’océan indien où on aide autant les gens ! C’est la réalité et donc on ne peut pas vouloir être un département français et dire que ça ne marche pas dès que la France est en solidarité", a-t-il surenchéri, le micro coupé cette fois-ci, sous les huées du public.

"Mais bon sang, on tiendra jusqu’au bout, si on est une équipe !", s’est-il encore exclamé. "Que tout le monde se respecte !" Un précieux conseil.

 (Infomigrants)
"On a toujours vu personne" : à Mayotte, les habitants des bidonvilles attendent toujours de l’eau et de la nourriture

Les bidonvilles, qui représentent près d’un tiers des habitations de Mayotte et abritent une grande partie de personnes en situation irrégulière, ont été les endroits les plus dévastés par Chido. Cinq jours après le passage du cyclone, les habitants attendent toujours les premières distributions de nourriture qui tardent à se mettre en place. Ils sont livrés à eux-mêmes et leurs stocks de vivres s’amenuisent. (...)

"Les prochains jours vont être très durs"

Dans son quartier, la situation est dramatique pour tous. "J’ai demandé un peu d’eau aux voisins pour les enfants mais ils ont refusé. Personne ne veut nous aider pour reconstruire notre maison", se désole-t-elle, tout en comprenant la détresse de chacun. "Tout le monde manque de tout ici. Personne n’a plus rien. Le riz, les denrées… Tout est périmé, moisi ou perdu", ajoute Sandia. (...)

Les prochains jours "vont être très durs", concède-t-elle, attendant avec impatience des secours qui n’arrivent pas. "Depuis le passage de Chido, on a vu personne", ajoute celle qui ne savait même pas que des distributions alimentaires étaient en cours d’acheminement via un pont aérien organisé depuis La Réunion. "Les enfants n’arrêtent pas de pleurer. Ils n’arrêtent pas de se plaindre parce qu’ils ont faim, où est-ce que je suis censé trouver de quoi m’occuper d’eux ?", s’attriste cette Comorienne. (...)

À Kawéni, un quartier de Mamoudzou, "ça fourmille de travailleurs", raconte Daniel Gros, référent de la Ligue des droits de l’Homme sur l’Ile. Il s’est rendu dès la fin du cyclone dans ce quartier réputé pour être "le plus grand bidonville de France". (...)

Et ici comme ailleurs, les gens sont livrés à eux-mêmes et toujours coupés du monde. Selon l’Intérieur, seulement 15% de la population de l’île est réalimentée en électricité et le réseau mobile est toujours en grande partie hors-service. Concernant l’eau, la situation est encore critique avec une grande partie de l’île qui n’y a pas accès. Seuls les villages du nord de l’île ont de l’eau potable, selon les autorités.

Le dernier bilan fait état de 31 morts et plus de 2 000 blessés. Mais les autorités craignent "certainement des centaines" de décès, "voire des milliers".