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"On est passé de l’accompagnement social au contrôle social", le département du Nord durcit les règles pour les allocataires du RSA
#RSA #exclusion #inegalites #algorithmes #desuhumanisation #contrôlesocial
Article mis en ligne le 23 décembre 2024
dernière modification le 22 décembre 2024

Pour lutter contre les abus présumés et favoriser le retour à l‘emploi, le département du Nord renforce les sanctions à l’encontre des allocataires du RSA, le revenu de solidarité active. Au risque d’accroître la précarité des plus fragiles.

La lutte contre les profiteurs supposés du RSA, Christian Poiret en a fait une croisade. Le 18 novembre dernier, en séance plénière du Conseil départemental du Nord, le président Divers droite n’a pas mâché ses mots : "les départements, il faut qu’ils arrêtent de payer des personnes qui ne veulent pas travailler", a-t-il asséné à son auditoire.

Et de décliner le durcissement des sanctions. Depuis la fin octobre dans le Nord, l’allocataire voit son revenu de solidarité active amputé de 80% s’il ne se présente pas à un rendez-vous, contre une ponction de 100 € auparavant. 50% en moins s’il s’agit d’une famille. Le RSA, c’est 635€ pour une personne seule, mais 590€ si l’allocataire perçoit une aide au logement par exemple. (...)

Le bénéficiaire qui profite

Christian Poiret a aussi écrit au Président de la République pour aller plus loin, ne plus rembourser un allocataire qui revient dans le circuit après une suspension, comme le veut la pratique actuelle. (...)

L’opposition de gauche et les syndicats dénoncent une stigmatisation insupportable. Mais qu’en est-il au juste ?
La guerre des chiffres du RSA

Aujourd’hui, le département du Nord, chargé du financement du RSA via la Caisse d’allocations familiales, donne le chiffre de 90 000 foyers allocataires, et se félicite d’en compter 16 000 de moins qu’en 2016.

  • 53 % sont des personnes isolées
  • 35% des familles monoparentales
  • 21% ont moins de 30 ans

Un document interne remis aux instances sociales de la collectivité fait pourtant état de 105 731 allocataires du RSA au 11 octobre 2024.

La différence tient peut-être au nombre de personnes qui sont encore dans le dispositif, mais qui ont vu leurs droits suspendus. Plus de 12 000, selon une source interne au département.

C’est le cas d’Ivan*, qui a souhaité rester anonyme par peur de "représailles". Ce trentenaire rencontré à Lille, a vu une première fois son RSA coupé au printemps dernier, pendant 4 mois. (...)

"Je n’ai reçu aucun courrier, et d’un coup je me suis fait couper net le RSA. Parce que j’avais dépassé la date pour renouveler mon CER, mon contrat d’engagement réciproque. C’est un contrat qu’on fait avec l’assistante sociale tous les six mois. Plutôt que de m’envoyer un courrier pour me dire "attention votre CER n’est pas à jour", direct ça a été la coupure", déplore-t-il.

Sans ressources, la situation d’Ivan dégénère rapidement. En septembre, son RSA est rétabli, mais entre-temps, son compte bancaire a été clôturé, et les galères arrivant rarement seules, sa carte d’identité a expiré. Nouvelle coupure du RSA en octobre. Ivan reprend rendez-vous à la Maison Nord Emploi qui le suit.

"Le coach emploi m’a dit, on verra pour votre RSA quand vous aurez refait vos papiers. Je lui ai dit que cela prenait au moins deux mois. Il m’a répondu que ce n’était pas son problème, qu’il n’était pas là pour faire du social. Résultat, j’ai perdu mon logement." (...)

Le jour de notre rencontre, Ivan venait de faire une domiciliation au Secours populaire, dans l’espoir de pouvoir rouvrir ses droits.
Risque de fraude

Comme lui, 30 à 40 % des allocataires du RSA n’ont pas d’adresse fixe, sont sans abri ou hébergés à droite à gauche. Ce qui peut être une source de fraude, car quelqu’un qui accueille un allocataire peut lui-même voir ses aides sociales réduites. (...)

"Les conditions d’accès aux droits et la surveillance exercée par la CAF aggravent les situations de pauvreté", juge Isabelle Derosse, vice-présidente d’ATD Quart-monde et ancienne déléguée régionale du mouvement (...)

Tous les trois mois, vous devez déclarer vos ressources et toute ressource est déduite du montant du RSA. Si la CAF considère que vous avez trop perçu, elle se sert : elle vous reprend sur les APL, les allocations familiales et tout le reste… Jusqu’à avoir un revenu égal à zéro pour des gens qui sont déjà dans la survie totale". (...)

Olivier Treneul, porte-parole du syndicat SUD au département du Nord abonde : "L’épée de Damoclès de la sanction financière sur un public qui est déjà au minimum, c’est contreproductif. Quand on lui enlève son RSA, la personne se retrouve sans rien. Ça n’appelle pas les gens à se remobiliser mais plutôt à être enfoncés. Et ça génère un climat de défiance avec le travailleur social, ce qui nuit à l’accompagnement. Les collègues de terrain nous le disent : l’allocataire du RSA vient souvent au premier rendez-vous avec un sentiment de peur, d’angoisse de se voir retirer son unique revenu de subsistance."
Retourner vivre chez ses parents

Comme Ivan*, Alice*, maman solo, a elle aussi perdu son RSA. C’était au mois d’août, après une convocation à la Maison Nord Emploi de Douai pour laquelle elle n’a pas reçu de courrier. Il vient d’être rétabli, mais la jeune femme a dû renoncer à un chez soi avec son fils de 4 ans. (...)

L’employabilité des allocataires du RSA à tout prix

L’employabilité des allocataires au RSA est le credo du département du Nord. Lancée en 2019, sa semaine "Réussir sans attendre" a mobilisé cette année 336 entreprises ayant proposé des offres à 11 000 allocataires.

La collectivité a aussi déployé 7 Maisons Nord Emploi, avec 12 points d’accueil en tout pour rapprocher les allocataires des coachs et travailleurs sociaux chargés de les accompagner. 72 500 personnes sont sorties du dispositif RSA, selon les données qu’elle nous a communiquées. Sans nous préciser s’il s’agissait de sorties vers l’emploi, ou de radiations.

Le Nord fait partie des 18 premiers départements pilote volontaires du "RSA rénové", dans le cadre de la loi pour le plein-emploi adoptée fin 2023. (...)

La Maison Nord Emploi de Tourcoing accueille l’expérimentation, à grand renfort de moyens. 3 000 allocataires du RSA y bénéficient d’un accompagnement intensif et personnalisé. Coachs emploi, agents de France travail et travailleurs sociaux, ils bénéficient de la présence dans un même lieu de tous les professionnels qui peuvent les aider à définir un projet et le mener à bien. (...)

En janvier 2025, ce RSA rénové devra être étendu à toute la France, et l’ensemble de ces 2 millions d’allocataires. Malheureusement, les moyens mis à Tourcoing ne pourront pas être généralisés. Et la contrepartie des 15 à 20 heures hebdomadaires de "recherche active" en inquiète plus d’un.
De l’accompagnement social au contrôle social

Dans un rapport intitulé "Premier bilan des expérimentations RSA : 4 alertes pour répondre aux inquiétudes des allocataires", publié en octobre et co-écrit par le Secours catholique, Aequitaz, et ATD Quart-monde les acteurs de la solidarité tirent la sonnette d’alarme.

"Manifestement, il n’y aura ni les moyens ni le temps d’écouter les aspirations des personnes, de construire le projet avec eux. Par contre, la moindre défaillance de l’allocataire sera sanctionnée. On met toute la responsabilité de l’échec éventuel de cet accompagnement sur lui. Ce n’est pas un accompagnement. C’est bien du contrôle", dénonce Isabelle Doresse, on prend aujourd’hui l’allocataire pour un délinquant potentiel". (...)

Des travailleurs sociaux du département du Nord avec lesquels nous nous sommes entretenus dénoncent un climat de pression, des injonctions à ne surtout pas relancer quelqu’un sur le point de perdre ses droits.

Dans un document diffusé en interne à l’attention de ceux qui accompagnent les allocataires, il est clairement fait mention de les considérer comme absents à leur rendez-vous passé "le quart d’heure de courtoisie", et d’enclencher la suspension de leur RSA. (...)

Le syndicat Sud dénonce également un système de double sanction parfois demandée à des travailleurs sociaux.

"On nous a rapporté que sur la commune de Tourcoing, dont la vice-présidente du Département à l’insertion Doriane Bécue est aussi la maire, des consignes ont été données au personnel du CCAS de ne pas attribuer de secours alimentaires quand un allocataire du RSA se présente privé de son revenu parce que sanctionné. C’est quelque chose de notre point de vue totalement insoutenable", s’indigne Olivier Treneul.
Des consignes données en interne

Le syndicaliste évoque aussi, en interne au département, l’exemple de familles injustement privées d’autres droits, lorsqu’une sanction a amputé leur RSA de 50%, comme le veut la règle concernant les allocataires avec enfants.

"Dans le cadre de la protection de l’enfance, le code de l’action sociale des familles nous permet de débloquer une allocation mensuelle d’aide sociale à l’enfance pour que l’enfant ne soit pas lui aussi pénalisé par la suspension du RSA de son parent. La consigne donnée en interne, c’est que quand un travailleur social évalue la nécessité de mettre en place ce dispositif de secours, des refus doivent être opérés au niveau de l’échelon hiérarchique".

Le syndicaliste dénonce un dévoiement des missions du département, collectivité dédiée aux actions de solidarités. (...)

« Notre boulot c’est de prendre en charge celles et ceux qui sont exclus. Ce n’est pas de les remettre dans un dispositif d’emploi. Ҫa, c’est le boulot de France travail et éventuellement de la Région, notamment par le biais de ses missions de formation professionnelle » (...)

Isabelle Doresse d’ATD QQuart-mondene dit pas autre chose : "Aujourd’hui on développe uniquement une politique de l’emploi au détriment des politiques de lutte contre la pauvreté. Quand on sécurise un peu les gens qui sont en grande pauvreté, ils retrouvent du pouvoir d’agir et du coup ils peuvent aller vers l’emploi. Contrairement aux expérimentations menées aujourd’hui qui sont des politiques basées sur du jugement moral et sur des préjugés". (...)

L’image de l’allocataire du RSA avachi dans son canapé la fait bondir (...)

Et la vice-présidente d’ATD QQuart-mondede rappeler qu’en France, 30% de ceux qui auraient droit au RSA ne font pas la démarche pour l’obtenir. Dans les départements qui expérimentent la reforme, ce taux de non-recours au RSA a même augmenté de 10,8%, tandis qu’il diminue de 0,8% dans les autres départements.

Lire aussi :

 (Basta)
Pour les allocataires du RSA, un inquiétant « compte à rebours » a commencé

A partir de janvier, la réforme de France Travail entrera en vigueur, et avec elle les 15h d’activités obligatoires pour les allocataires du RSA ainsi que l’intensification des contrôles. Agents de l’ex-Pôle emploi comme usagers s’inquiètent. (...)

Ce « compte à rebours » risque d’être celui d’une véritable bombe sociale à retardement. Pour les personnes sans emploi comme pour les agents de France Travail. « On bourre la machine à marche forcée jusqu’à ce que ça craque », estime Florent Lefebvre. À moins de quinze jours de l’échéance, les conseillers de France Travail se demandent bien comment ils vont pouvoir gérer cet afflux massif d’un nouveau public en insertion.

Bénéficieront-ils de moyens supplémentaires pour les accompagner ? « C’est le flou artistique », résume le syndicaliste, également élu au Comité social et économique (CSE) de France Travail. Les agents savent simplement qu’ils devront faire avec moins d’effectifs : 500 emplois équivalents temps plein devaient être supprimés par le projet de finance 2025. France Travail prévoit « d’économiser » l’équivalent de près de 3000 postes d’ici 2027. (...)

Objectif : contrôler 1,5 million de chômeurs en 2027 (...)

« Les conseillers font moins d’accompagnements que de contrôles », déplore Agnès Aoudai. France Travail prévoit de tripler les contrôles annuels de recherche d’emploi : de 500 000 jusqu’à 1,5 million en 2027 ! Insultes, menaces, agressions, « chaque nouvelle réforme s’est manifestée par une hausse des conflits avec les usagers », constate Lakhdar Ramdani, de la CGT Pôle Emploi Bretagne.

De l’avis de nos interlocuteurs, « France Travail est le réceptacle de la détresse sociale » subie par les agents de l’autre côté du guichet. Résultat : le mal-être se répand dans les agences, avec pour manifestation la hausse des arrêts maladie, des burn-out et le risque de décompensation psychique... En mars dernier, un manager d’une agence en Occitanie a mis fin à ses jours.

15 à 20 heures d’activité obligatoires pour percevoir le RSA (...)