
La découverte d’« oxygène noir », produit dans les fonds marins, est inédite pour la science. Elle pourrait contrecarrer les plans des entreprises qui veulent exploiter les abysses pour ses minerais.
Sans vie, les abysses ? Voilà une nouvelle preuve que non. À plus de 4 000 mètres sous la surface de l’océan Pacifique, à une profondeur que les rayons du soleil n’atteignent pas, des scientifiques ont découvert de l’oxygène, source de la vie sur Terre. Cet « oxygène noir » proviendrait non pas de plantes marines, mais de galets riches en métaux de la taille d’une patate, les « nodules polymétalliques », sur lesquels louchent les compagnies minières.
Cette découverte, rendue publique le 22 juillet dans la revue Nature Geoscience, pourrait à la fois remettre en question notre compréhension des origines de la vie sur Terre, mais aussi amener les scientifiques à réévaluer les conséquences de l’exploitation des fonds marins. (...)
Jusqu’à présent, l’océan profond était uniquement perçu comme un « puits » d’oxygène, vers lequel se serait contenté de couler, à la faveur des courants, le précieux gaz produit à la surface via la photosynthèse. En 2013, les auteurs de cette étude ont emprisonné de petites parties des fonds marins de la zone de Clarion-Clipperton sous des cloches, appelées « chambres benthiques ». Et là, surprise. Le niveau d’oxygène, qui aurait logiquement dû diminuer, augmentait. (...)
Les causes du phénomène sont encore incertaines. À la surface de certains nodules, les scientifiques ont détecté une tension électrique allant jusqu’à 0,95 volt. Le voltage pourrait être encore plus élevé lorsque ces galets métalliques sont agglutinés. Cela pourrait, selon les scientifiques, générer une séparation de l’eau de mer en hydrogène et en oxygène, au terme d’un processus appelé « électrolyse de l’eau de mer ».
Cette découverte est « l’une [des] plus excitantes de la science océanique récente », considère le biologiste marin et directeur de l’Association écossaise pour les sciences marines (Sams) Nicholas Owens, qui a contribué à ces recherches. La possibilité que l’oxygène puisse être produit sans organisme vivant ni photosynthèse oblige, selon lui, à repenser l’origine de la vie sur Terre. (...)
Si ce phénomène a cours sur notre planète, pointe par ailleurs Andrew Sweetman, cela pourrait éventuellement être le cas ailleurs dans l’univers. (...)
Cette découverte démontre, à nouveau, l’urgence d’abandonner les projets d’exploitation minière des abysses, selon Marie-Kell de Cannart, biologiste marine et activiste au sein du collectif Look Down et de la Sustainable Ocean Alliance. « Exploiter ces nodules reviendrait à enlever de l’oxygène de l’océan, alors qu’une respiration sur deux nous vient de l’océan », explique-t-elle à Reporterre.
De nombreuses autres études ont déjà mis en avant le péril mortel auquel l’exploitation minière expose les abysses (...)
Le 23 juillet, trois organisations environnementales — Deep Sea Mining Campaign, The Ocean Foundation et Blue Climate Initiative — ont déposé plainte contre The Metals Company, qu’elles accusent, après analyse de son dernier rapport annuel, de « tromper de manière significative les investisseurs, les fonctionnaires et le public par le biais d’omissions, d’informations et de déclarations inexactes ». Elles l’accusent notamment d’avoir surestimé ses qualifications « en tant qu’investisseur écologiquement et socialement responsable ».
Face aux accusations de The Metals Company, Andrew Sweetman et son équipe ont répliqué, et décidé de défendre publiquement leur étude. « Nous soutenons pleinement ses conclusions, qui ont été publiées par une revue universitaire très respectée à l’issue d’un processus rigoureux et long d’évaluation par les pairs », déclare l’auteur principal dans un communiqué.
Sa découverte ne serait par ailleurs pas un cas isolé. « À la suite de la publication de cet article, raconte-t-il, j’ai été contacté par d’autres chercheurs qui avaient obtenu des données similaires, qui donnaient des preuves de production d’oxygène noir, et qu’ils avaient écartées en pensant que leur équipement était défectueux. »