
De Gaza à Téhéran, la guerre d’expansion d’Israël est défendue par l’Occident comme une légitime défense - tout comme en 1967, lorsque la conquête a été saluée comme un triomphe de la civilisation.
Vendredi matin, Israël a lancé des frappes aériennes non provoquées à l’intérieur du territoire iranien, ciblant des sites près d’Ispahan et de Téhéran. Des scientifiques, des hauts fonctionnaires et des civils, dont des femmes et des enfants, auraient été tués.
Pourtant, quelques heures plus tard, les dirigeants et les médias occidentaux ont qualifié l’agression israélienne de légitime défense "préventive". Les responsables américains ont affirmé qu’Israël avait agi pour contrecarrer une menace iranienne "imminente", tandis que le chef de la majorité au Sénat, John Thune, a insisté sur le fait que les frappes étaient nécessaires pour contrer "l’agression iranienne" et protéger les Américains.
Malgré sa belligérance permanente dans la région, la représentation d’un Israël violent et prédateur, victime de ses victimes, prévaut en Occident depuis avant la création de l’État colonial en 1948.
Plus Israël conquiert et opprime de terres et de peuples, plus l’Occident le dépeint avec insistance comme une victime.
Ce cadrage n’est pas le fruit du hasard.
En 1936, quelques mois après l’éclatement de la grande révolte palestinienne contre le colonialisme sioniste et l’occupation britannique, le dirigeant sioniste polonais David Ben-Gourion (né Grun) expliquait comment les sionistes devaient présenter leur conquête de la Palestine : « Nous ne sommes pas des Arabes, et les autres nous mesurent selon des critères différents... Nos instruments de guerre sont différents de ceux des Arabes, et seuls nos instruments peuvent garantir notre victoire. Notre force réside dans la défense... et cette force nous donnera une victoire politique si l’Angleterre et le monde savent que nous nous défendons au lieu d’attaquer ».
En 1948, et conformément à cette stratégie sioniste, le récit occidental dominant présente les sionistes, qui ont massacré les Palestiniens et les ont expulsés de leur patrie, comme de pauvres victimes ne faisant que se défendre contre la population autochtone dont ils avaient conquis les terres.
C’est pourtant la conquête "défensive" de la Cisjordanie et de Gaza par Israël - il y a 58 ans ce mois-ci - qui a solidement ancré son image de "victime" assiégée et jeté les bases du génocide en cours à Gaza.
Aujourd’hui, même ce génocide est présenté en Occident comme une question de légitime défense. Israël, nous dit-on, reste la victime de ses victimes - 200 000 d’entre elles ont été tuées ou blessées dans sa dernière guerre pour "se défendre".
Une sainte victimisation
La guerre de juin 1967 a élevé Israël au rang de victime intouchable et sainte en Occident.
Ses partisans se sont multipliés, parmi les chrétiens et les juifs occidentaux, qui considéraient les Arabes et les Palestiniens comme les oppresseurs d’Israël.
C’est d’ailleurs ce climat d’hostilité anti-arabe extrême qui a marqué un tournant dans la politisation de feu l’intellectuel Edward Said, qui en a été le témoin direct aux États-Unis.
Les conquêtes territoriales d’Israël ont été célébrées comme des actes d’autodéfense héroïques - une inversion délibérée de la victime et de l’agresseur qui continue à façonner les perceptions occidentales.
Un examen des soi-disant réalisations de la guerre de 1967 permet d’expliquer comment l’image de victime d’Israël a perduré, alors même que ce pays procède à des massacres et à des déplacements forcés.
Un examen des soi-disant réalisations de la guerre de 1967 - et de la planification qui les a précédées - permet d’expliquer comment l’image de victime d’Israël a perduré, alors même qu’il procède à des massacres et à des déplacements forcés.
Entre 1948 et 1967, Israël a détruit quelque 500 villages palestiniens pour les remplacer par des colonies juives. Cet effacement a été salué en Occident comme un miracle : la construction d’un État juif après l’Holocauste en dépit de la résistance haineuse des autochtones palestiniens qui cherchaient à sauver leur patrie.
L’historien Isaac Deutscher - souvent décrit comme un critique du sionisme - a qualifié l’effacement de la Palestine et des Palestiniens par Israël de "merveille et de prodige de l’histoire", proche des "grands mythes et légendes héroïques" de l’Antiquité.
Moshe Dayan, chef d’état-major de l’armée israélienne, s’est penché sur les succès mythiques de la destruction de la Palestine en 1969 : "Des villages juifs ont été construits à la place de villages arabes. Vous ne connaissez même pas les noms de ces villages arabes, et je ne vous en blâme pas, car ces livres de géographie n’existent plus. Non seulement les livres n’existent pas, mais les villages arabes n’existent pas non plus."
La fierté de Dayan pour le vol des terres palestiniennes par Israël l’avait amené, un an plus tôt, à exhorter les Israéliens à ne jamais dire "ça suffit" lorsqu’il s’agit d’acquérir un territoire : Vous ne devez pas vous arrêter - à Dieu ne plaise - et dire "c’est tout ; jusqu’ici, jusqu’à Degania, jusqu’à Muffalasim, jusqu’à Nahal Oz", car ce n’est pas tout. Car ce n’est pas tout.
La complicité de l’Occident
Le fait que les sionistes aient établi leur État sur des terres palestiniennes volées n’a jamais été critiqué en Occident.
Tout en glorifiant les légendaires vols de terres d’Israël, les puissances occidentales déploraient l’exiguïté de son territoire et soutenaient ses projets d’expansion coloniale, déjà bien entamés. Après tout, si Israël est la victime, il a naturellement besoin de plus de territoire à occuper.
Ce point de vue a récemment été repris par le président américain Donald Trump qui, en février, a défendu le projet d’annexion de la Cisjordanie par Israël en affirmant : "C’est un petit pays... c’est un petit pays en termes de territoire".
L’avarice d’Israël pour la terre des autres s’est manifestée clairement avant et après l’invasion de 1956 et la première occupation de Gaza et de la péninsule du Sinaï.
Après cette conquête, le laïc David Ben-Gourion, premier ministre fondateur d’Israël, s’est montré biblique, affirmant que l’invasion du Sinaï "a été la plus grande et la plus glorieuse dans les annales de notre peuple".
L’invasion et l’occupation réussies, affirmait-il, ont restauré "le patrimoine du roi Salomon, de l’île de Yotvat au sud jusqu’aux contreforts du Liban au nord". "Yotvat" - comme les Israéliens se sont empressés de rebaptiser l’île égyptienne de Tiran - "fera à nouveau partie du troisième royaume d’Israël".
Dans un contexte de rivalité inter-impériale avec la France et la Grande-Bretagne, les États-Unis insistent sur le retrait d’Israël, ce qui suscite l’indignation de Ben-Gourion : "Jusqu’au milieu du sixième siècle, l’indépendance juive a été maintenue sur l’île de Yotvat... qui a été libérée hier par l’armée israélienne".
Il déclare également que la bande de Gaza "fait partie intégrante de la nation". Invoquant la prophétie biblique d’Isaïe, il s’est engagé : "Aucune force, quel que soit son nom, ne fera évacuer le Sinaï par Israël".
Malgré le soutien populaire dont bénéficie Israël en Occident, les Israéliens se retirent quatre mois plus tard sous la pression des Nations unies, des États-Unis et de l’Union soviétique. L’Égypte a accueilli la Force d’urgence des Nations unies (FUNU) de son côté de la frontière, mais Israël a refusé de recevoir les observateurs de la FUNU.
Stratégie expansionniste
En 1954, le ministre de la Défense Pinhas Lavon "propose de pénétrer dans les zones démilitarisées [à la frontière israélo-syrienne], de s’emparer des hauteurs de la frontière syrienne [c’est-à-dire d’une partie ou de la totalité du plateau du Golan], de pénétrer dans la bande de Gaza ou de s’emparer d’une position égyptienne près d’Eilat".
Dayan a également suggéré qu’Israël conquière le territoire égyptien à Ras al-Naqab dans le sud, ou qu’il traverse le Sinaï, au sud de Rafah, jusqu’à la Méditerranée. En mai 1955, il propose même qu’Israël annexe le Liban au sud du fleuve Litani.
Les Israéliens avancent également dans leur projet de s’approprier toutes les terres de la zone démilitarisée (DMZ) le long de la frontière syrienne près du plateau du Golan. En 1967, ils se sont emparés de l’ensemble de la zone. (...)
Il n’est donc pas surprenant que les partisans occidentaux d’Israël aient invoqué cet héritage non seulement après ses dernières frappes sur l’Iran, mais aussi tout au long de sa campagne génocidaire à Gaza et de son agression plus large en Cisjordanie, au Liban, en Syrie et au Yémen. Selon eux, Israël ne se contente pas de se défendre, mais agit par procuration pour l’Occident.
Son déchaînement actuel est une nouvelle démonstration frappante de ce que les "victimes" occidentales peuvent et doivent faire à leurs victimes non occidentales.