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Mediapart
Polémiques après la condamnation de Nicolas Bedos : ce que dit réellement le jugement
#NicolasBedos #medias
Article mis en ligne le 26 octobre 2024
dernière modification le 25 octobre 2024

Depuis que le cinéaste a été condamné à un an de prison pour agressions sexuelles, son avocate et de nombreux éditorialistes s’insurgent et dénoncent, à coups de raccourcis, une peine exceptionnellement sévère. Mediapart révèle les éléments du jugement.

Quoi de plus banal qu’une avocate contestant la peine de son client ? Nicolas Bedos a été condamné à douze mois de prison, dont six qu’il passera chez lui, sous bracelet électronique, pour deux agressions sexuelles commises en 2023. Dans son rôle, son avocate, Julia Minkowski, est allée sur « C à vous » et BFMTV contester cette « décision inique » et dénoncer une « peine humiliante » et « totalement disproportionnée ».

Mais dans sa riposte pour défendre son client, toujours présumé innocent puisqu’il a fait appel, l’avocate fait aussi le procès des juges de la 10e chambre du tribunal judiciaire de Paris, du parquet et des médias en oubliant certains faits.

À sa suite, des commentateurs de tous bords s’appuient sur ses déclarations et quelques mensonges pour dénoncer la décision. (...)

Derrière ces nombreux mensonges et approximations, il y a pourtant des faits. Et ils sont largement détaillés dans le jugement que Mediapart a pu, comme BFMTV, consulter.
Un simple « bisou dans le cou » ? (...)

L’audience, qui a duré près de dix heures, était pourtant bien plus complexe.

Nicolas Bedos avait fait l’objet de nombreux signalements. Six femmes ont témoigné auprès de Mediapart pour dénoncer le comportement de l’acteur et détailler ce que certaines estiment être « un mode opératoire ». Deux enquêtes, l’une pour viol et l’autre pour agressions sexuelles, ont été classées sans suite, car les faits étaient prescrits. In fine, l’acteur a été condamné pour deux agressions sexuelles.

La première a eu lieu en mai 2023 au Sauvages, un club du Ier arrondissement de Paris, lorsque l’acteur a saisi Camille*, une serveuse qu’il ne connaissait pas, pour l’embrasser dans le cou. Sur BFMTV, l’avocate tente de nuancer, expliquant que son client n’est pas accusé d’avoir « embrassé de force » la serveuse, « mais avec surprise ». Dans un cas comme dans l’autre, le consentement de la victime est nié. Et c’est d’ailleurs ce que cette dernière a expliqué à l’audience. (...)

Nicolas Bedos appréhende difficilement la notion du consentement, avec des conséquences particulièrement graves dans son rapport avec certaines femmes.
Extrait du jugement consulté par Mediapart.

En garde à vue, Nicolas Bedos n’a rien contesté et évoquait même une « effusion globale dans ce bar laissant supposer un consentement généralisé ». À l’audience, il a finalement reconnu qu’il était totalement ivre et dit de ne pas se souvenir du moment. « Si les faits étaient établis, je ne peux que présenter mes plus plates excuses », a-t-il déclaré (...)

Une simple main baladeuse ?

Le cinéaste est également condamné pour avoir, un mois plus tard, dans le même club et dans le même état d’ivresse, agressé sexuellement Lola, une femme qu’il ne connaissait pas, venue danser avec ses ami·es. Julia Minkowski, elle, parle d’une simple main posée en taisant l’endroit précis. « Une main par-dessus un jean, de deux secondes, c’est la plaignante qui le dit », insiste-t-elle sur BFMTV. « On ne sait toujours pas quel est ce geste puisque la plaignante a refusé d’expliquer, à la demande du président du tribunal, ou de mimer ce geste », affirme l’avocate sur France 5.

C’est faux. Comme a pu le constater Mediapart, présent au procès, Lola a expliqué et mimé le geste devant le tribunal, précisant que Nicolas Bedos avait posé sa main sur son sexe. En larmes, elle a finalement abrégé le moment (...)

Les différents journalistes l’ont d’ailleurs relaté dans leur compte rendu, à l’instar du Figaro. (...)

Interrogée par Mediapart, Julia Minkowski nuance en expliquant que la victime a finalement bien « mimé le geste de la main qui s’approche entièrement », mais maintient qu’elle « a refusé, ou a été incapable comme vous le percevez vous, de montrer où et comment la main était en contact avec son jean ». « Donc on ne sait toujours pas où et de quelle façon le contact s’est produit. Le tribunal non plus. » À l’audience, le président du tribunal a pourtant pointé des déclarations « précises » qui « n’avaient jamais varié ». (...)

l’avocate prétend aussi que ce geste est intervenu dans un contexte de « bousculade » et que la victime, interrogée sur ce point par les juges, n’était pas sûre d’elle. « Il y a eu un grand blanc et elle a dit : “Je ne crois pas.” Et c’est là-dessus qu’on le condamne. Sans preuve ? », s’est agacée l’avocate.

Celle-ci oublie de mentionner l’intégralité des propos tenus par la victime, qui balayait totalement l’idée que le geste soit la conséquence d’une bousculade. (...)

Nicolas Bedos condamné sans preuve ?

L’avocate ne cesse de le marteler, ce dossier ne serait rien d’autre que la parole de plaignantes contre celle de son client. Là encore, ce n’est pas vrai. En plus du témoignage de Lola, le jugement relève qu’au moins quatre témoins ont raconté avoir vu l’altercation entre elle et l’acteur. Le vigile, qui a été contraint d’expulser Nicolas Bedos, a confirmé aux enquêteurs avoir vu la cliente « repousser un gars » et constaté qu’elle était en « état de choc ». Il a aussi expliqué avoir assisté à trois incidents concernant l’acteur et l’avoir déjà expulsé deux fois.

Également entendu, le gérant du club a, lui, révélé que l’acteur avait commis un autre geste déplacé et qu’il était désormais blacklisté. « Je l’ai formellement vu en 2023 se retourner et mettre une main aux fesses, je lui ai dit : “La prochaine fois que je te vois faire ça, ce sera ma main dans ta gueule” », témoignait-il.

Et Nicolas Bedos lui-même avait écrit à la plaignante. (...)

disait n’avoir « aucun souvenir » mais ne contestait pas les faits et évoquait même une autre soirée, lors de laquelle il aurait été « odieux » avec une femme. « Si je me suis mal conduit, je ne peux que vous présenter mes plus sincères excuses. Même si c’est impardonnable », écrivait-il.

Dans leur décision, les juges relèvent qu’en employant « l’adjectif “impardonnable”, utilisé dans le cadre d’un message réfléchi, à distance des faits dénoncés, Nicolas Bedos évoque un acte qu’il a commis et dont il n’ignore pas la gravité ».
Une condamnation sévère et inédite ?

Tout en discréditant les magistrats, l’avocate de Nicolas Bedos remet en cause le caractère exécutoire de la peine. L’appel n’est pas suspensif et Nicolas Bedos devra en effet l’exécuter dans quelques mois et se soumettre à des soins. (...)

« Comme s’il était le pire récidiviste qu’il était urgent de confiner chez lui parce qu’on aurait peur qu’il commette une agression plus violente demain », renchérit-elle sur France 5.

C’est en tout cas une crainte évoquée à l’audience par le procureur de la République. « On peut s’interroger sur le rapport de Nicolas Bedos aux femmes, déclarait-il. Le caractère répétitif est inquiétant. »

Ce suivi sur la durée apparaît nécessaire au regard de l’absence de prise de conscience par l’intéressé de son comportement infractionnel aux incidences délétères.
Extrait du jugement consulté par Mediapart

(...)

Dans leur décision, les juges écrivent qu’il « ressort clairement des débats que lorsqu’il est alcoolisé notamment, il appréhende difficilement la notion du consentement, avec des conséquences particulièrement graves dans son rapport avec certaines femmes ». « L’expert psychiatre qui l’a examiné précisait, au sujet des gestes “non sollicités” qu’il a pu avoir, qu’il en parle “avec une forme de banalisation, bien qu’il les critique” », peut-on lire aussi.

Pour justifier leur peine assortie d’une obligation de soin, les magistrats pointent

« l’absence de prise de conscience par l’intéressé de son comportement infractionnel aux incidences délétères ». « Au regard de la nécessité d’engager rapidement ce suivi judiciaire resserré tant sous la forme de la détention à domicile sous surveillance électronique que du sursis probatoire, et ce afin de prévenir toute forme de récidive, il convient d’ordonner l’exécution provisoire de l’ensemble des dispositions pénales », expliquent-ils.

(...)

Plusieurs avocats relativisent aussi la supposée sévérité de la peine. « Il prend six mois de bracelet et du sursis. Il encourait sept ans. Il a deux mentions sur son casier relatives à l’alcool, nuance Me Seydi Ba sur le réseau social X. Au regard de la jurisprudence à Paris, je ne vois pas l’extrême sévérité. En comparution immédiate, avec un tel CV, c’est facile douze mois ferme avec mandat de dépôt. »

Dans leur décision, les juges expliquent d’ailleurs atténuer la condamnation en préférant la détention à domicile plutôt que la prison « au regard de la stabilité personnelle, professionnelle et familiale de Nicolas Bedos ». Comme l’a rappelé Le Parisien, entre 2017 et 2022, près de la moitié des auteurs d’agressions sexuelles ont, eux, été condamnés à des peines de prison ferme, en tout ou partie. (...)

Nicolas Bedos jamais condamné ? (...)

Là encore, ce n’est pas exact. « Le bulletin n° 1 du casier judiciaire de Nicolas Bedos comporte trois condamnations », rappelle le jugement. L’acteur a été condamné à des amendes pour conduite sous l’emprise d’alcool et pour injure publique contre une personne dépositaire de l’autorité publique. Il a aussi écopé de trois mois de prison avec sursis en 2014 pour menaces de mort, outrage et récidive de conduite en état d’ébriété. (...)

Des journalistes partis avant la fin du procès ? (...)

« Au moment où le procureur a prononcé ses réquisitions à 22 heures, ils sont tous partis » , jure-t-elle sur France 5. « Vous étiez où à partir de 22 h 15 ? », a-t-elle demandé au journaliste de BFMTV. Là encore, ces accusations sont fausses.

Si des journalistes ont bien quitté le procès après les réquisitions du procureur, Mediapart, BFMTV et plusieurs autres ont tous assisté à la plaidoirie de l’avocate, après les réquisitions du procureur. Le compte rendu livré par la journaliste de RMC permet de constater qu’elle est restée jusqu’à 23 h 26, soit la fin de l’audience. (...)

Confrontée à ces erreurs ou raccourcis, Julia Minkowski dit regretter d’être allée sur BFMTV mais rappelle cette évidence. « Je suis l’avocate de la défense. Je ne suis pas juge et je ne suis pas journaliste, et je ne suis pas là pour faire un commentaire objectif et total d’une audience. Je n’ai pas d’obligation d’exhaustivité, défend-elle. Je pense ne pas y être de mauvaise foi, mais je reste avocate de la défense et les gens le savent. Je ne suis pas là pour instruire à charge et à décharge. »