
Comment lutter contre les violences sexistes en ligne ? Directrice de Féministes contre le cyberharcèlement, Laure Salmona esquisse plusieurs piste
Laure Salmona est directrice de Féministes contre le cyberharcèlement et autrice de Politiser les cyberviolences (coécrit avec Ketsia Mutombo, Cavalier Bleu, 2023) et 15 idées reçues sur les cyberviolences et le cyberharcèlement (Cavalier Bleu, 2025). Elle décortique ce qui se joue dans les violences en ligne, alors que le phénomène, massif, ne cesse de prendre de l’ampleur au gré des avancées technologiques : deepfakes et IA générative en tête.
En 2021 et 2022, le collectif Féministes contre le cyberharcèlement a mené une enquête pour quantifier l’ampleur de ces violences en ligne, et le vécu de ses victimes. (...)
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Insultes, menaces, humiliations… Les études révèlent l’ampleur du cyberharcèlement en France qui débute dès l’école primaire et dont les conséquences psychologiques peuvent être dramatiques, allant jusqu’au suicide.
« J’ai été victime de cyberharcèlement à l’âge de 12 ans sur une période de 8 mois », confie une jeune femme auprès de l’association e-Enfance. « Au début, c’était des insultes comme ”chaudière”, ”pétasse”, “salope”, “pute” […] Cela a duré 8 mois jusqu’au jour ou L. [son amoureux de l’époque] s’est suicidé. »
Une étude d’e-Enfance/3018 et de la Caisse d’épargne révèle une glaçante réalité : le phénomène du cyberharcèlement commence tôt. Alors que 86 % des 8-18 ans sont inscrits sur les réseaux sociaux, 20 % des 6-11 ans ont été confrontés au moins une fois au cyberharcèlement. Alors qu’en France les réseaux sociaux sont interdits aux moins de 13 ans, ils sont pourtant 67 % à y être présents parmi les 6-11 ans. (...)
Continuum de violences
Les femmes apparaissent comme les premières cibles de ces violences numériques. Une enquête Ipsos-BVA réalisée pour le collectif Féministes contre le cyberharcèlement rappelle que 84 % des victimes sont des femmes. Dans le même temps, 74 % des agresseurs sont des hommes.
Qu’il s’agisse de commentaires sexistes, de menaces de viol, de diffusion de photos intimes sans consentement ou de campagnes coordonnées, ces « cyberviolences s’enchevêtrent avec les violences subies dans l’espace tangible et s’inscrivent dans un continuum de violences qui visent le plus souvent les femmes, les filles et les personnes les plus discriminées ». L’association rappelle les graves conséquences que peuvent entraîner ces violences alors que « 14 % des victimes déclarent avoir tenté de se suicider ». (...)
Les pouvoirs publics commencent à prendre la mesure de l’urgence. En France, le cyberharcèlement est désormais reconnu comme un délit. Lorsque l’auteur est majeur et que la victime a plus de quinze ans, il risque jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. Si la victime a moins de quinze ans, alors la peine maximale est portée à trois ans de prison et 45 000 € d’amende. Le gouvernement rappelle aussi que « les hébergeurs de sites internet ou de plateformes en ligne qui ne répondent pas à leurs obligations peuvent engager leur responsabilité pénale ». (...)
– (Editions le Cavalier Bleu)
Politiser les cyberviolences (coécrit avec Ketsia Mutombo, Cavalier Bleu, 2023)
Toute technologie est ambivalente : si le Web a permis aux voix marginalisées – celles des femmes lesbiennes, bi, trans, handicapées, racisées, précaires, victimes de violences sexuelles – de se faire entendre, il s’est aussi fait l’écho de discours de haine, alimentant des violences qui intimident et poussent à quitter les réseaux.
Bien qu’Internet ait, pour un temps, incarné l’utopie d’une agora démocratique, l’illusion s’est vite dissipée, dévoilant un espace devenu anxiogène à force d’être recomposé, marketé et accaparé par les groupes dominants. Dès lors, comment s’extraire de la toile des dominations et faire en sorte que ce territoire de tous les possibles ne demeure pas le terrain de jeu de la domination masculine ?
Cofondatrices de Féministes contre le cyberharcèlement, Laure Salmona et Ketsia Mutombo, en médiatisant le hashtag #TwitterAgainstWomen à l’échelle internationale, ont ainsi contribué à faire naître un nouveau regard sur le harcèlement en ligne et à politiser le phénomène des cyberviolences genrées en pointant leur caractère systémique (...)