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« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? » : le cauchemar des exclus du droit du sol à Mayotte
#Mayotte #droitdusol #exclusion
Article mis en ligne le 24 avril 2025
dernière modification le 23 avril 2025

Depuis 2019, le droit du sol n’est plus appliqué à Mayotte, où se rend lundi Emmanuel Macron. Une situation dérogatoire qui a été à nouveau durcie par les parlementaires. La France a ainsi fait basculer la vie de milliers de jeunes qui, bien que nés et ayant grandi à Mayotte, en sont exclus.

Depuis qu’il a vu le jour il y a vingt ans, Saïd n’a pas connu grand-chose d’autre que la ville dans laquelle il a grandi. Sa vie se concentre sur un tout petit périmètre autour de Combani, ancienne plantation de canne à sucre située dans le centre-nord de Mayotte.

C’est là qu’il est né, là qu’il a fait son école primaire, là aussi qu’il a passé ses années collège, qu’il a appris l’histoire de France, la monarchie, la Révolution, la Libération – la colonisation aussi, mais très rapidement...

Même après le brevet, il n’est pas allé bien loin : le lycée de Kahani, où il a obtenu son baccalauréat l’année dernière, filière générale, et où il a fait toutes les démarches sur Parcoursup pour poursuivre ses études, se trouve à moins de 10 kilomètres de là. Pourtant, Saïd, qui n’a pas souhaité que son nom de famille apparaisse (comme les autres témoins de cet article), n’est pas ici chez lui. C’est du moins ce qu’on lui a fait savoir il y a deux ans, quand il a fait sa demande de nationalité française et que celle-ci lui a été refusée.

Saïd n’a pas connu son père, et sa mère, originaire d’Anjouan, l’île voisine qui appartient à l’Union des Comores, était en situation irrégulière au regard de la loi française lorsqu’elle l’a mis au monde. Il y a quelques années, cela n’aurait pas été un problème : grâce au droit du sol, il aurait pu prétendre à la nationalité française et poursuivre ses études. Mais aujourd’hui, c’est rédhibitoire. (...)

C’est en 2018 que le sort de Saïd et de milliers d’autres jeunes né·es à Mayotte de parents en situation irrégulière s’est joué. Cette année-là, les parlementaires ont voté un texte qui restreint considérablement le droit du sol à Mayotte, et uniquement à Mayotte. Depuis son entrée en vigueur, en mars 2019, les enfants né·es de parents étrangers ne peuvent devenir français que si, à leur naissance, l’un des deux parents résidait de manière régulière sur le territoire français depuis au moins trois mois.

Aujourd’hui, la mère de Saïd dispose d’un titre de séjour. Ses trois frères et sa sœur, qui ont entre 8 et 12 ans, pourront donc peut-être devenir français. Mais l’aîné devra se contenter d’un titre de séjour à la durée limitée. Il en a demandé un en 2023, sans obtenir de réponse. Actuellement, Saïd est donc considéré comme un « clandestin » sur la terre qui l’a vu naître et grandir. (...)

On ignore combien de jeunes sont dans ce cas, mais ils et elles sont probablement des centaines en plus chaque année. (...)

« On a bien pris en compte tes bons résultats scolaires, mais c’est la loi. » « À quoi bon faire des efforts ? », se demande-t-il, alors qu’il va bientôt passer son BEP. « Mon acte de naissance est français, j’ai grandi dans un département français, j’ai un diplôme de secouriste français, je me sens français ; pourquoi ne suis-je pas français ? »

Lui aussi est né à Mayotte, à Dzaoudzi, de parents originaires d’Anjouan. (...)

Abdallah raconte le parcours du combattant pour obtenir un titre de séjour depuis deux ans : le départ à Moroni, la capitale de l’Union des Comores, seul, sans y connaître personne, afin de s’y faire remettre une pièce d’identité comorienne ; l’accueil glacial qui lui a été réservé ; puis l’accueil tout aussi hostile à la préfecture, une fois de retour à Mayotte. Les innombrables documents à fournir, l’enveloppe spéciale exigée, que l’on ne trouve pas sur place, les sommes folles dépensées (près de 300 euros, sans compter le coût du voyage vers Moroni) pour avoir le droit de rester sur « son » île, alors qu’aucun de ses parents ne travaille…

« Cette histoire m’affecte, mes profs l’ont remarqué », admet-il. Il ne dort pas bien, il déprime souvent. Et parfois, il avoue « avoir envie de [s]e faire du mal ». « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, se demande-t-il à voix haute. Il a suffit d’une loi pour faire basculer toute ma vie. »