Très implanté à Marseille, Rodolphe Saadé étend son réseau dans les médias. Après avoir repris “La Provence”, l’armateur franco-libanais lance “La Tribune dimanche”, concurrent du “JDD”. Avec la bénédiction de l’Élysée.
Inconnu du grand public il y a encore dix-huit mois, le pdg de CMA CGM, troisième armateur mondial avec sa flotte de plus de six cents navires, commence à se faire un nom au-delà de Marseille, où sa famille a définitivement planté pavillon en 1981 après avoir fui la guerre au Liban et dont il est aujourd’hui le premier employeur privé (cinq mille salariés). Ou plutôt un prénom — il a pris la succession en 2017 de son père, Jacques Saadé (décédé en 2018), surnommé le « Lion des mers ». Pas seulement parce que son entreprise a battu tous les records de (super)profits ces deux dernières années grâce à la reprise économique post-Covid — sa fortune est estimée à 39 milliards d’euros, ce qui fait de lui le cinquième homme le plus riche de France, selon Challenges ! (...)
Il a mis la main l’an passé sur La Provence, le célèbre quotidien marseillais, et Corse-Matin ; acquis 10 % de M6, qu’il a, comme d’autres, d’abord voulu racheter ; investi dans le média en ligne Brut… Et, ce 8 octobre, La Tribune, qu’il a repris début 2023, lance une édition dominicale, censée concurrencer Le Journal du dimanche de Vincent Bolloré. (...)
À en croire nombre de spécialistes interrogés pour cette enquête, il n’est pas près de s’arrêter là — lui n’a pas souhaité nous rencontrer. (...)
Même s’ils l’ont quitté depuis plus de quarante ans, Rodolphe Saadé et sa famille restent très attachés au Liban. Chrétiens de rite grec orthodoxe, vus comme appartenant à l’élite, ils s’y rendent très souvent. (...)
Rodolphe Saadé a d’ailleurs la réputation d’être de prime abord assez froid, voire glacial, et assez peu porté sur l’humour. Il serait extrêmement dur avec ses équipes, comme l’était son père. Vu sa fortune, beaucoup le considèrent comme l’homme providentiel susceptible d’aider le Liban à sortir de la crise, notamment depuis l’explosion du port de Beyrouth, en août 2020. Un mois plus tard, il était d’ailleurs aux côtés d’Emmanuel Macron dans la capitale libanaise pour la réception d’un bateau d’aide d’urgence affrété par CMA CGM. Considéré comme proche du chef de l’État, il était aussi du voyage à Washington en novembre dernier. Et quand il vient à Marseille, Emmanuel Macron passe souvent par la tour de verre CMA CGM, qui domine le port industriel de ses 147 mètres de haut (deux de moins que Notre-Dame-de-
la-Garde, exigence de l’ancien maire Jean-Claude Gaudin). « On ne fait pas de politique », aime à rappeler le groupe. Il n’empêche : les armateurs bénéficiant d’un régime fiscal hyper privilégié (...)
Et c’est à la demande de l’État que le groupe a acquis près de 10 % d’Air France en mai 2022. (...)
L’Élysée ne peut voir que d’un bon œil la création de La Tribune dimanche, dont l’un des objectifs sera de récupérer d’anciens lecteurs du Journal du dimanche déstabilisés par la ligne éditoriale (d’extrême droite) instillée par le nouveau directeur de la rédaction, Geoffroy Lejeune, avec la bénédiction de Vincent Bolloré. Jusque-là, Le JDD s’était révélé un canal d’expression particulièrement prisé par la macronie. (...)
Rodolphe Saadé vient de regrouper toutes ses activités médias dans une structure baptisée Whynot Media, un nom qui laisse entendre qu’il ne s’interdit rien. À sa tête : une vieille connaissance, Laurent Guimier, ancien directeur de l’information de France Télévisions. Beaucoup de dossiers devraient défiler sur son bureau. À la suite des déboires du groupe Altice, « Rodolphe Saadé a regardé du côté de BFMTV, mais Patrick Drahi réclame pour l’instant beaucoup trop d’argent, explique un proche du dossier. Il a aussi voulu racheter le quotidien L’Opinion, qui aurait pu servir de rampe de lancement à un journal dominical, mais ce sera donc finalement La Tribune. » Récemment, Le Monde rapportait qu’il avait été aussi le principal mécène privé de la venue du pape François à Marseille. Il a d’ailleurs suivi la messe au Stade-Vélodrome, où il possède une loge pour assister en famille aux matchs de l’OM, dont la CMA CGM est sponsor principal (maillot) depuis cette saison. Après les médias, le sport ? « Il ne rachètera jamais l’OM, il n’y a rien de tel pour s’attirer des emmerdes et ruiner une réputation », assure un haut dirigeant du football français. Et la réputation, ça n’a pas de prix.