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« Radicaliser » : retour sur la campagne du Monde contre LFI
#LFI #medias #LeMonde
Article mis en ligne le 5 septembre 2024
dernière modification le 3 septembre 2024

« La France insoumise s’abîme », « s’est extrêmisée » et « suscite un très fort rejet » : tels sont les arbitrages assénés dans Le Monde (30/08) sous la plume du sondologue médiatique en chef, Brice Teinturier. La source ? Une enquête électorale de l’institut qu’il dirige (Ipsos), réalisée pour le compte du quotidien, Sciences Po, l’Institut Montaigne et la Fondation Jean Jaurès. L’objet n’est pas ici d’exposer les insondables biais, malfaçons et angles morts de cette « enquête ». Il s’agit, en revanche, de revenir sur le rôle quotidien – et acharné – du Monde dans la diabolisation de La France insoumise. L’article que nous reproduisons est paru dans le numéro 51 de notre revue Médiacritiques (juillet-septembre 2024) et revient spécifiquement sur la couverture de LFI par le quotidien au moment des élections européennes (mars-début mai 2024).

Partis pris systématiques, désinformation par omission, obsessions stratégiques aux relents islamophobes... : dans le cadre des élections européennes, le quotidien Le Monde a fait campagne contre La France insoumise. Le quotidien aura en effet réservé un traitement de choix au seul parti institutionnel, dans le champ politique français, attaché à maintenir la question palestinienne à l’agenda et à relayer les revendications du mouvement de protestation contre la guerre génocidaire de l’État israélien en Palestine.

Au cours des derniers mois, nous n’avons cessé de souligner l’incroyable fossé qui sépare, d’un côté, les reportages parfois de très bonne facture que peut publier Le Monde sur la situation à Gaza, et, de l’autre, l’insondable médiocrité du quotidien dès lors qu’il s’agit de traiter de ses répercussions dans le champ politique français [1]. (...)

La criminalisation des pensées hétérodoxes à laquelle se livre actuellement l’État français – dont LFI n’est que l’une des (nombreuses) cibles – ne semble d’abord pas alarmer Le Monde outre-mesure. La rédaction n’a par exemple pas jugé utile de consacrer un article de son cru à la convocation pour « apologie du terrorisme » de Mathilde Panot (députée, présidente du groupe à l’Assemblée nationale) : totalement banalisé, ce fait politique est simplement relayé sur le site par le biais de deux dépêches AFP (23/04 et 30/04). Comme si de rien n’était. La convocation pour le même motif de Rima Hassan, juriste et candidate à l’élection européenne sur la liste LFI, se voit appliquer le même traitement minimaliste (19/04). (...)

« Instrumentaliser le vote des quartiers populaires »

Une chose est sûre : l’heure n’est plus à la défense des libertés publiques. Le 24 avril, un éditorial daigne qualifier l’interdiction de conférences de La France Insoumise de « préoccupante » et « problématique », mais ne renonce pas à sa ligne « raisonnable » et finalement très ambiguë pour souhaiter un « nécessaire équilibre » entre « les libertés de réunion et d’expression » et… « la préservation de l’ordre public ». On a connu positionnements moins timides dans les pages du Monde, a fortiori quand le quotidien semble incapable de réprimer sa détestation viscérale de LFI. (...)

D’autre part, en martelant la pensée automatique ressassée par l’ensemble des chefferies médiatiques de ce pays : la campagne de La France insoumise en soutien du peuple palestinien « revient à instrumentaliser le vote des quartiers populaires et à inciter les électeurs français à s’identifier aux protagonistes de la guerre que mène Israël dans le territoire palestinien en représailles aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023 ».

Ceci mérite un temps d’arrêt. Outre le fait qu’il ne devrait plus être permis de qualifier de « représailles » la guerre génocidaire menée par l’État d’Israël, ni de laisser penser aux lecteurs que Gaza est le seul territoire palestinien ciblé, l’argumentation laisse pantois. Totalement déconnectée de la gravité de la conjoncture – en Palestine en premier lieu –, cette basse réduction politicienne de la vie politique recycle les éternels mêmes postulats islamophobes, dépeignant les habitants des quartiers populaires (alternative : les « Arabes de France » et les « voix musulmanes », cf. plus bas) comme une masse informe dénuée de raison propre : des sujets-objets, manipulables à merci, omniprésents dans les récits journalistiques sans pour autant n’y avoir jamais la parole. Réactivée à l’envi dans la séquence en cours, la formule « séduire l’électorat des quartiers » est en effet devenue un automatisme journalistique depuis l’élection présidentielle de 2017. Sans qu’aucune enquête sociologique qualitative ne soit jamais avancée, l’argument revient comme un leitmotiv mobilisé à charge. (...)

Un dernier anathème, robotique, envahit les articles des services politiques en général, et ceux du Monde en particulier : reprocher à La France insoumise de « [faire] de Gaza l’axe principal de sa campagne pour les européennes » (28/04). Dérivé du procès consistant à accuser LFI de vouloir « importer le conflit », ce grief est lui aussi adressé systématiquement à sens unique : jamais des journalistes du Monde n’ont par exemple reproché à Emmanuel Macron d’avoir « fait de l’Ukraine l’axe principal de sa campagne pour la présidentielle » en 2022. Dans les pages du quotidien – comme partout ailleurs –, le candidat d’alors fut même encensé en boucle pour cela (...)

Quoi qu’il en soit, au Monde comme ailleurs, c’est le règne du journalisme de prescription et de commentaire : on consacre infiniment plus de surface éditoriale à critiquer le choix de LFI de porter la cause palestinienne tout au long de sa campagne, qu’à simplement informer sur cette campagne en rendant compte des meetings, des déplacements des candidates et des candidats, des arguments mobilisés et des revendications portées. Une manière, parmi tant d’autres, d’invisibiliser la guerre génocidaire à Gaza, mais aussi de peser sur la vie publique en circonscrivant le périmètre du débat politique acceptable.

Caractéristique du journalisme politique, cette démarche est à l’origine d’un modèle du genre au Monde : un article flamboyant d’originalité intitulé « Manon Aubry, une campagne pour les élections européennes dans l’ombre de Jean-Luc Mélenchon et de Rima Hassan » (9/05). Dégoulinant d’arrogance, le principe de l’article consiste à exposer aux lecteurs combien Le Monde sait plus (et mieux) qu’elle-même ce que pense Manon Aubry. (...)

C’est bel et bien une constante : silencieux sur leur corporation – dès lors que les médias Bolloré ne sont pas concernés –, acritiques quant à leurs pratiques et totalement aveugles (ou feignant de l’être) quant à leur rôle dans le débat public, les journalistes reprochent à des tiers l’incurie de leurs propres choix éditoriaux. Une réalité parallèle. La mauvaise nouvelle, c’est que rien ne semble pouvoir les en extirper. Pas même le surgissement d’une évidence. (...)

Tout en aveuglement et en contradictions, le journalisme politique est, décidément, irrécupérable. Mediapart n’y échappe pas, où malgré des critiques légitimes et argumentées, le recul critique minimal à l’égard de la co-construction journalistique de l’« actualité » ne semble pas de mise non plus... (...)