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le quotidien du médecin
Raphaël Perrin (sociologue) : « Certains médecins, sans être opposés à l’IVG, sont réticents à la pratiquer »
#femmes #avortement #IVG #loiVeil
Article mis en ligne le 28 juin 2025
dernière modification le 25 juin 2025

LE QUOTIDIEN : Comment en êtes-vous venu à enquêter sur l’accès à l’avortement ?

RAPHAËL PERRIN : Dans une émission sur France Culture, la Dr Marie-Laure Brival, gynécologue-obstétricienne et responsable de la maternité des Lilas, en Seine-Saint-Denis, faisait part en 2020 du renouvellement générationnel de son équipe et de ses difficultés à recruter des médecins qui acceptent de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse (IVG). Je me dis que c’est une énigme, au sens sociologique, un constat paradoxal puisque dans la population générale, on sait que le soutien au droit à l’avortement croît depuis des décennies. En septembre 2018, le Dr Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France, avait fait parler de lui en déclarant qu’il n’était « pas là pour retirer des vies ».

On évoquait aussi il y a quelques années la situation en Italie, où environ 70 % des gynécologues refusaient de pratiquer des IVG, avec une résurgence d’avortements clandestins (1). En commençant à enquêter, je me suis rapidement rendu compte que l’enjeu n’est pas l’opposition de principe au droit à l’avortement mais la réticence d’une partie de la profession à pratiquer les IVG. Cela ne se traduit pas forcément par le recours à la clause de conscience, en réalité peu utilisée en France.

(...) Il y a peu d’opposition de principe chez les médecins, aujourd’hui massivement favorables au droit à l’avortement. En revanche, il peut y avoir du dégoût à pratiquer l’IVG, ce qui traduit des représentations sociales et morales intériorisées. Pour certains gynécologues et obstétriciens, la prise en charge de l’IVG est un acte considéré comme peu technique, peu porteur et qui ne permet pas d’obtenir des postes intéressants.

Même chez des médecins investis, il y a cette représentation selon laquelle l’avortement est un acte moralement grave, potentiellement traumatique voire dangereux s’il n’est pas pris en charge par des professionnels de santé, du social et de la psychologie. Cette idée, construite dans les années 1970, était alors perçue comme progressiste car elle permettait de considérer les femmes comme des victimes et non plus comme des coupables. Aujourd’hui, c’est cette représentation qui justifie le maintien des parcours complexes de prise en charge de l’IVG. (...)

Il y a un décalage entre l’évolution du cadre légal de l’avortement ces cinquante dernières années et les pratiques ordinaires des médecins, qui maintiennent des contraintes et des barrières rendant l’accès à l’IVG plus complexe et inégalitaire. La loi Veil qui, certes, a dépénalisé l’avortement, a instauré initialement un dispositif médico-légal très restrictif voire dissuasif, avec un délai légal court, une prise en charge payante, l’obligation de mettre en avant une situation de détresse, une semaine dite « de réflexion », un entretien avec une conseillère conjugale, l’autorisation des parents pour les mineures, etc.

Les réformes successives ont allégé la loi Veil. Et, en théorie, il est beaucoup plus facile d’avorter aujourd’hui que du temps de nos mères et nos grands-mères. Mais il ne suffit pas de regarder la loi. En fonction de qui elles sont et à qui elles la demandent, les femmes n’ont pas la même IVG : elles peuvent avorter plus ou moins vite, plus ou moins tôt, jusqu’à plus ou moins tard, dès la consultation médicale ou pas, choisir leur méthode d’IVG ou pas, etc.

Certaines femmes se voient même refuser l’IVG, en dépit des conséquences dramatiques dans leur vie… (...)

Lire aussi :

 (Editions Agone)

Le choix d’avorter

Contrôle médical et corps des femmes
Raphaël Perrin
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