
Des étudiant·es en médecine mobilisent contre la proposition de loi Garot visant à réguler l’installation des médecins contre les déserts médicaux. D’autres étudiants la soutiennent, dont le collectif Pour une santé engagée et solidaire. Tribune.
L’article 1 de la proposition de loi contre les déserts médicaux, dite loi Garot, propose de créer une autorisation d’installation des médecins, délivrée par l’ARS. En zone sous‑dotée, l’autorisation est délivrée de droit pour toute nouvelle installation. Dans tous les autres cas, c’est‑à‑dire lorsque l’offre de soins est au moins suffisante, l’autorisation est délivrée uniquement si l’installation fait suite à la cessation d’activité d’un praticien pratiquant la même spécialité sur ce territoire.
Depuis des années, la France est confrontée à la multiplication des déserts médicaux (...)
Comme l’indique la proposition de loi s’appuyant sur les chiffres du ministère de la santé, la désertification médicale touche aujourd’hui près de neuf millions de personnes en France. Dans les territoires où l’offre de soins est la plus insuffisante, il faut 11 jours pour obtenir un rendez‑vous avec un·e généraliste, 93 pour un·e gynécologue et même 189 jours pour un·e ophtalmologue. (...)
Enjeu de santé publique
Pour enrayer ce processus, plusieurs mesures politiques ont déjà été prises. Il y a d’abord eu un élargissement puis la suppression du numerus clausus en 2021 visant à augmenter le nombre de médecins formé·es. Ensuite, des mesures incitatives à l’installation en zones sous-dotées, ont été mises en place (...)
. Ces dispositifs sont aujourd’hui insuffisants, et le fossé ne cesse de s’élargir entre quelques oasis sur-dotées et des déserts médicaux qui se multiplient.
La proposition de loi Garot propose d’affronter cette problématique et l’enjeu de santé publique qu’elle constitue, en régulant l’installation des médecins dans les zones les plus dotées (9 à 13% du territoire selon les spécialités). Il sera donc toujours possible de s’installer dans une zone fortement dotée au départ d’un·e autre professionnel·le et près de 90 % du territoire reste sous un régime d’installation libre.
Par cette disposition, la loi s’inscrit dans une volonté de redonner concrètement un droit à la santé, aujourd’hui perdu par des millions de personnes (...)
déjà en place dans plusieurs États européens comparables à la France : Danemark, Allemagne, Norvège.
Cette proposition de loi s’inscrit dans la logique de la Constitution française mais aussi des textes fondamentaux de notre profession, serment d’Hippocrate et code de déontologie : le droit à la santé pour toutes et tous, sur tout le territoire français. Ce droit ne peut se réduire à une incantation vaine, il faut se donner les moyens de l’appliquer et d’affirmer les principes humanistes d’une médecine au service de la population. Aujourd’hui ce droit est bafoué pour toutes les personnes qui participent pourtant comme les autres à la Sécurité sociale. Alors qu’elles cotisent de la même manière, elles ont un accès à la santé amputé par l’inégale répartition des services de santé. Nous ne pouvons accepter de cautionner une telle injustice.(...)
nous croyons qu’en tant que futur·es professionnel·les de soin, nous devons aligner nos revendications avec notre éthique.
Recul des services publics
Bien sûr, pour nécessaire qu’elle soit, cette loi sera bien insuffisante à résorber les inégalités de santé. La pénurie de médecins reste un problème majeur dont il n’est pas inutile de rappeler que la mise en place du numerus clausus en 1971 a été largement soutenue par les syndicats de médecins libéraux et l’Ordre des médecins avant qu’ils ne soient obligés de revenir précipitamment dessus au vue de la catastrophe. (...)
Les médecins choisissent, et c’est compréhensible, leur lieu d’installation en fonction des conditions d’exercice et de la qualité de vie locale. C’est ainsi que le désengagement de l’État et le recul des services publics fragilisent encore plus ces endroits de la carte qui pourtant ont le plus besoin de médecins de par leur population vieillissante et précaire. De fait, une zone sous dotée en médecin, c’est aussi souvent une zone sans poste, crèche, école, transports en commun, tribunal de proximité…
Alors, que faire face à cette situation ? Si la proposition de loi Garot offre une réponse d’urgence, elle ne peut être la seule solution. Tout d’abord, il est impératif d’améliorer les conditions d’exercice des professionnel·les de santé dans ces territoires. Cela passe par la création de centres de santé pérennes, comme le défend une récente tribune de la Fédération nationale des centres de santé, financés et soutenus par les pouvoirs publics, et l’implantation de maisons de santé pluridisciplinaires. Ces dispositifs permettent de regrouper divers professionnel·les dans un même espace de soins, et devront s’accompagner d’un élargissement des champs de compétence des professions de santé.
En outre, une politique globale d’aménagement du territoire est nécessaire. (...)
Rétablir un droit à la santé
Il est aujourd’hui essentiel de réguler le secteur libéral, en commençant par le secteur 2, et d’agir à la fois sur l’installation et sur le reste à charge, afin de rééquilibrer l’offre de soins et de la rendre réellement accessible à toutes et tous.
La décentralisation des formations en santé, évoquée dans l’article 3 de la proposition de loi, est également primordiale. Cela passe par l’offre de formation initiale, les stages, ainsi qu’une régionalisation de l’internat et un renforcement des périodes d’apprentissage en dehors des CHU. Cela ne pourra se faire sans une revalorisation globale du statut des externes et des internes. Ces mesures, couplées à l’augmentation du numerus clausus, exigent un financement de nos universités à la hauteur des enjeux. Luttons contre les coupes budgétaires actuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche !
Enfin, accélérons drastiquement les procédures d’autorisation d’exercice des PADHUE (Praticiens à diplôme hors Union européenne). Il est temps d’accorder une vraie reconnaissance à ces médecins qui font tourner les établissements de santé sur tout le territoire dans des conditions de travail désastreuses. La volonté du gouvernement d’utiliser ces médecins étranger·ères comme des variables d’ajustement à placer dans les zones délaissées est scandaleuse et nous devons refuser cette logique d’installation raciste.
La régulation ne s’oppose pas, comme certains voudraient nous le faire croire, à ces autres solutions ; elles sont complémentaires.
Pour que ces mesures soient réellement efficaces, il est crucial de repenser profondément notre système de santé, de soutenir les professionnel·les là où ils sont nécessaires, et d’investir dans des solutions pérennes pour garantir un accès aux soins et aux services publics sur tout le territoire nationale. C’est ainsi que nous pourrons espérer rétablir un véritable droit à la santé pour toutes et tous.