
Nous savons ce que sont le Figaro et le Point dans le paysage médiatique français, et à quel(s) public(s) ils s’adressent. Il n’est pas donc étonnant qu’en toute mauvaise foi, ils reprennent, sans critique aucune, l’expression "théorie du genre", forgée à l’origine par ceux qui déclarent s’y "opposer" ; ils ne sont pas les seuls par ailleurs.
Chacun de ces journaux a publié un article sur un enfant, Bruce, dont la circoncision a été ratée en 1966. A l’issue de l’opération, il n’avait plus un pénis "normal". Le jumeau de l’enfant, Brian, n’a pas eu ce problème. Les parents s’inquiétaient du devenir de leur enfant, dans une société qui place le pénis comme le garant de l’identité "mâle". C’est pourquoi ils acceptèrent la proposition du médecin, John Money, de pratiquer une opération visant à lui fabriquer un "organe femelle", puisqu’il n’avait plus un "vrai organe mâle".
L’enfant devait ensuite prendre un traitement hormonal l’amenant à devenir une fille. Selon le médecin, il suffisait que les parents l’éduquent en fille pour que tout se passe bien. Or ce ne fut pas le cas. L’histoire se termine de manière bien tragique par le suicide des deux enfants concernés, une fois devenus adultes, en 2002 et 2004.
Pourquoi considérer qu’il s’agit de malhonnêteté intellectuelle de la part du Figaro et du Point ?
Premièrement, ces articles ne font aucunement la différence entre un changement de sexe forcé sur un enfant (= maltraitance), et le fait de revendiquer le droit pour soi de changer de sexe, en tant qu’individu responsable (droit à disposer de son propre corps ; pas celui d’autrui).
Ensuite, ma critique pointera deux défauts majeurs aux articles du Point et du Figaro :
• L’ignorance comme support argumentatif
• L’instrumentalisation de l’oeuvre tragique de John Money (...)
L’ignorance comme support argumentatif
En premier lieu, l’article du Figaro définit la "théorie du genre" comme "la conduite sexuelle qu’on choisit d’adopter, en dehors de notre sexe de naissance". Où avez-vous lu ça ? Pouvez-vous citer ne serait-ce qu’UN ouvrage qui définit le genre de cette façon ? (...)
L’instrumentalisation de l’oeuvre tragique de John Money
Ensuite, qu’il s’agisse du Point ou du Figaro, les deux articles laissent entendre que c’est la "théorie du genre" véhiculée par le médecin qui a détruit la vie de ces enfants et de leurs parents. Par "théorie du genre", on peut imaginer que les auteurs de ces articles entendent le fait de remettre en question l’immuabilité des comportements dits "masculins" et "féminins".
Autrement dit, pour le Figaro, le Point, et tous ceux qui s’affolent en ce moment sur le sujet, c’est par exemple naturel que les parents peignent en bleu la chambre du nouveau né garçon. C’est la nature, c’est même lui, dès le stade embryonnaire, qui a suggéré cette couleur dans le ventre maternel, un point c’est tout. Rien à voir avec la société, ses normes et hiérarchies. (...)
pour rester sur l’exemple pris par ces deux journaux, ce n’est pas parce qu’on a un organe mâle "cassé", ou qu’on en n’a pas du tout, qu’on ne peut pas être un homme. Ainsi, une personne née avec un pénis dit malformé, ou accidenté en grandissant, de même qu’une personne qui devient un homme par changement de sexe, sont bien des hommes, même si leurs parcours diffèrent. Différentes expériences de la masculinité (ou des masculinités) n’en font pas moins des hommes. (...)
Quant au Figaro et au Point, c’est vrai que ce n’est pas vendeur de critiquer un corps médical perçu comme légitime, et surtout pas pour défendre une "minorité de personnes" (intersexes, trans), n’est-ce pas. Alors que se répandre en "démonstrations" farfelues, instrumentaliser une histoire tragique en la resignifiant selon les préoccupations d’aujourd’hui, au travers d’une polémique dont l’essor n’est dû qu’à la panique morale qu’elle suscite, et cette fois, sur le dos de cette "minorité de personnes", ça c’est la grande classe !