
Aux États-Unis, à la fin des années 1970 et lors de la décennie suivante, des militantes se sont opposées, de manière parfois virulente, sur les questions sexuelles. Analysant la pornographie comme la source principale des violences faites aux femmes, certaines féministes ont tenté de la faire interdire, au grand dam de leurs contradictrices, qui y ont vu une dangereuse tentative de censure. Des « Sex Wars » qui résonnent encore aujourd’hui.
Présenté comme un journal de bord collaboratif, le programme de la neuvième édition de la Scholar and feminist conference est un document précieux : il témoigne de l’intense travail de préparation de la fameuse Conférence universitaire et féministe sur la sexualité organisée au Barnard College, le 24 avril 1982, événement marquant des Sex Wars.
Gayle Rubin est une des pontes de la théorie féministe. Le genre de personnes dont les écrits sont tellement influents que des colloques sont organisés pour leur rendre hommage.
Comme celui de l’université de Pennsylvanie, qui, en 2009, célébrait les 25 ans de son article « Penser le sexe », généralement considéré comme fondateur pour les études gays et lesbiennes et la théorie queer. Lors de son discours d’ouverture, l’organisatrice du colloque, l’universitaire Heather Love, est revenue sur le contexte de publicisation de ce fameux texte de Gayle Rubin, présenté dans une première version lors d’un colloque sur la sexualité au Barnard College, à New York, le 24 avril 1982. Cette journée est restée dans les annales : elle a vu l’une des altercations les plus vives des « Sex Wars », cette série de polémiques autour de la sexualité qui ont déchiré les féministes états-uniennes à la fin des années 1970 et pendant les années 1980.
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En 1986, la délibération d’Indianapolis, rédigée avec l’aide de MacKinnon, est finalement déclarée inconstitutionnelle par la cour d’appel. Ce qui met un coup d’arrêt définitif à cette stratégie législative. Les Sex Wars s’essoufflent alors peu à peu. En 1992, l’approche juridique de MacKinnon a tout de même inspiré la décision R. c. Butler de la Cour suprême du Canada. La Cour y réinterprète les lois canadiennes sur l’obscénité : elle estime que celles-ci sont inconstitutionnelles quand elles se basent sur des motifs moraux, comme c’était le cas jusque-là, mais qu’elles sont constitutionnelles lorsqu’elles sont utilisées contre un contenu dégradant pour les femmes, assimilable à un discours de haine. Cette évolution est saluée comme une victoire féministe dans certains cercles progressistes et dans le magazine féministe états-unien Ms. Magazine. Mais les féministes du camp d’en face ne se sont pas fait prier pour relever que, après cette évolution de la jurisprudence, une des toutes premières poursuites a visé une librairie LGBTQIA+ de Toronto parce qu’elle vendait le magazine érotique lesbien Bad Attitude, désormais suspecté d’obscénité. Un « je te l’avais bien dit » au goût amer…
Par la suite, observe la chercheuse Cornelia Möser, qui a étudié les Sex Wars pour son ouvrage Libérations sexuelles5, « on a assisté dans les milieux féministes à une sorte de partage du travail entre, d’un côté, celles et ceux qui se sont occupé·es de lutter contre les violences sexuelles et, de l’autre, celles et ceux qui ont faire vivre cette culture appelée “prosexe”, ou “sexpositive” » (consulter notre glossaire de concepts ci-dessous). L’universitaire remarque que, en France, « il n’y a pas eu de grande campagne comme aux États-Unis » pour lutter contre la pornographie. C’est un sujet connexe, la prostitution, qui a ouvert des lignes de fractures qui rappellent celles des Sex Wars états-uniennes. Les débats au sein des mouvements féministes français autour de la loi dite de lutte contre le système prostitutionnel en 2016 ont donné lieu à des échanges très vifs entre militantes, qui n’ont pas manqué de laisser des traces.