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Mediapart
Rupture de contrat avec l’État : le lycée musulman Al-Kindi perd son recours en référé
#enseignementprive #EducationNationale #Islamophobie #Betharram #AlKindi
Article mis en ligne le 16 mars 2025

Le tribunal administratif de Lyon a rejeté la première requête en référé de l’établissement scolaire privé Al-Kindi, qui demandait l’annulation de la suspension du contrat entre l’État et son lycée. L’équipe pédagogique veut poursuivre la procédure sur le fond.

(...) La décision portant seulement sur le lycée, l’établissement Al-Kindi pourrait saisir à nouveau la justice pour les classes sous contrat de son collège et de son école primaire. L’équipe pédagogique indique à Mediapart n’avoir pas encore décidé si elle allait lancer ces deux nouvelles procédures sur la forme, mais se dit déterminée à poursuivre « la procédure sur le fond ».

Le tribunal administratif a « estimé que les manquements reprochés à l’établissement étaient suffisamment établis », peut-on lire dans la décision rendue publique deux jours après l’audience qui s’est tenue à Lyon devant un parterre de soutiens, élus locaux et journalistes. (...)

Après une longue plaidoirie lundi, l’avocat du groupe scolaire, Hakim Chergui, avait dénoncé un « acharnement » : « C’est du séparatisme d’État, produit par l’État pour des raisons politiques, qui obéissent à un agenda politique, provenant de la fusion entre la droite et la droite extrême dans ce pays. » Il regrette que la préfecture agisse, selon lui, « par impressionnisme : elle prend des petits points qui peuvent paraître problématiques pour dire que c’est un système d’ensemble ».

Que reproche l’État à Al-Kindi ?

Le 10 janvier 2025, la préfecture d’Auvergne-Rhône-Alpes a décidé de mettre fin à la convention entre le groupe scolaire et l’État, justifiant des « manquements graves » et des « atteintes aux valeurs de la République ».

C’est sur ces « manquements qui font système » que la préfecture a également insisté à l’audience lundi, par la voix de Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur : « Cet établissement est particulier parce que ses dirigeants, son contenu programmatique et sa ligne éditoriale illustrent la pensée des Frères musulmans. »

Ces termes sont rejetés en bloc par l’administration d’Al-Kindi : « Ici, que ce soient les élèves ou n’importe qui d’autre, personne ne sait ce qu’est un Frère musulman », s’émouvait Karim Chihi, directeur adjoint d’Al-Kindi, dans les colonnes de Mediapart en janvier 2025. « On peut tout mettre sous la casquette “Frères musulmans”. Un voile ? Frère musulman. Une barbe ? Frère musulman. Il fait le ramadan ? Pareil. On nous a mis dedans, sans justification », s’indignait également une professeure d’histoire. (...)

Le tribunal de Lyon, s’il ne reprend pas les éléments de rhétorique « frériste » de la préfète, a pourtant vu des « critiques fondées » concernant « une non-conformité au programme de l’enseignement en terminale de la spécialité histoire, géographie, géopolitique, science politique ».

Les juges des référés ajoutent que « certains thèmes comme les conflits au Moyen-Orient ou la mémoire des génocides juifs et tsiganes n’étaient pas ou insuffisamment traités, tandis que d’autres, tels que la guerre d’Algérie, étaient survalorisés dans les programmes ». L’argument, dont Laurent Wauquiez, ex-président du parti Les Républicains (LR) du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, s’était fait l’écho dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, est réfuté par le corps enseignant, qui assure que plusieurs cours sur ces thématiques sont donnés en terminale.

Une autre partie des reproches concerne des questions de comptabilité ; l’établissement n’aurait pas bien séparé l’allocation de ses fonds entre les classes sous contrat et hors contrat, avant d’être repris à l’ordre. Au sein du groupe scolaire, les équipes rappellent à Mediapart avoir, depuis ce rappel à l’ordre, fourni « cinq années de comptabilité » à la fin décembre 2024, et n’avoir reçu depuis aucune critique sur les chiffres rapportés.

Trop tard, estime le tribunal (...)

Quatre contrôles en un an

Al-Kindi a été contrôlé quatre fois en un an, faisant de lui une exception à la règle, quand on parle d’établissements privés financés par de l’argent public. (...)

À l’audience, les avocats d’Al-Kindi n’ont d’ailleurs pas manqué de souligner la différence de traitement avec Notre-Dame-de-Bétharram, institut catholique privé sous contrat touchant de l’argent public et n’ayant jamais été contrôlé en trente ans, malgré de nombreuses plaintes et signalements, ainsi que le lycée catholique Stanislas, qui aurait quant à lui eu « droit à l’erreur » et conservé son contrat et ses subventions.

L’établissement Al-Kindi évalue à 1,7 million d’euros sa perte de revenus annuels en cas de rupture de contrat avec l’État. Cette somme lui permet notamment d’embaucher une dizaine d’enseignants et enseignantes.